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ce larcin au caporal d’ordinaire, qui fait établir contre l’homme une plainte en conseil de guerre pour « vol au préjudice de l’ordinaire », avec cette circonstance aggravante que le vol avait eu lieu de nuit, et que le joyeux, pour pénétrer dans le cabanon, avait été obligé — prétendit le caporal — d’en crocheter la serrure. Il fut démontré, cependant, que le caporal avait égaré dès longtemps la clef du local, dont un simple loquet, au moment du vol, assurait la fermeture ; mais le gradé que la perte de cette clef mettait dans le cas d’être puni disciplinairement, s’était empressé, avant de se plaindre du larcin, d’en faire fabriquer une autre, et il affirma que la porte avait été crochetée. Il fut cru, et le conseil de guerre d’Alger condamna le joyeux, pour le vol de ces deux pains, à dix années de réclusion.

Un autre :

Encore à Laghouat, au 2e bataillon d’Afrique. Un tout jeune engagé volontaire, qui ne peut parvenir à exécuter convenablement les mouvements indiqués par l’instructeur, est conduit en cellule, à l’issue de l’exercice, par son sergent de section. Seul dans le cachot, l’homme, découragé, se lamente et se désespère, et dans un brusque mouvement de colère, il arrache la manche de son bourgeron de toile qu’il jette dans un coin de la cellule. Le soir, il est revenu au calme, et lorsque le caporal de garde, à l’heure du repas, lui apporte son morceau de pain, il réclame du fil et une aiguille pour réparer son vêtement. « Vous avez déchiré votre bourgeron ? s’écrie le caporal. (J’étais moi-même présent à ce dialogue. De passage à Laghouat, j’avais été placé en subsistance au bataillon d’Afrique, qui recevait alors les militaires étrangers à la garnison de Laghouat.) — Excusez-moi, caporal, répond naïvement l’homme, mais j’étais en colère et… — Vous étiez en colère ! Vous l’avez donc déchiré exprès ? interrompt le gradé. — La colère m’a emporté », explique le joyeux. Cet aveu suffisait. Le caporal prend à témoin deux des hommes de garde qui l’accompagnaient, et l’imprudent est traduit devant le conseil de guerre d’Alger qui le condamne à cinq années de travaux publics pour lacération d’effets militaires. Circonstance aggravante, — on avait trouvé inscrite, sur le mur de la cellule où il était demeuré en prévention, cette phrase : « À bas l’armée, l’école de la démoralisation et du vice ! »

Et ce Boqui, malheureux idiot, impuissant et gâteux, dont le régiment s’était débarrassé en l’envoyant comme simulateur à la 4e compagnie de discipline, et dont le capitaine Chérageat, commandant alors cette compagnie, se débarrassa à son tour — après l’avoir toutefois laissé croupir pendant près de vingt mois au fond d’une cellule — en le faisant traduire devant le conseil de guerre d’Alger, sous l’inculpation de « bris de clôture »[1] : le malheureux, par maladresse, avait brisé la vitre d’un falot de ronde qu’il était en train de nettoyer. Mais, étonné

  1. Si l’on considérait une statistique des condamnations prononcées par les conseils de guerre d’Algérie et de Tunisie, on serait étonné de la quantité des condamnations prononcées pour bris de clôture dans un établissement militaire.