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ment : « Messieurs du conseil, je demande votre indulgence pour le-prévenu ! » Il s’incline de nouveau, remet sa toque et se rassied. Le conseil se retire pour délibérer, revient, et R… est condamné à cinq années de prison, le maximum de la peine. Les débats, depuis la lecture de l’acte d’accusation jusqu’à celle du verdict, ont duré neuf minutes, montre en main.

Un autre :

C’est à Laghouat. Une vingtaine de disciplinaires de la 4e compagnie de discipline se trouvent momentanément en subsistance à la compagnie du 1er régiment de tirailleurs algériens, détachée dans cette ville. Plusieurs d’entre eux sont punis de prison et enfermés dans les locaux disciplinaires du quartier Margueritte, où sont casernés les tirailleurs. Aux heures prescrites, les punis sont amenés devant le poste de police de la caserne, et le sergent de garde leur fait exécuter pendant les six heures réglementaires le peloton de punition. Une après-midi, à ce peloton, un des disciplinaires punis, le nommé Donseau, s’attire une réprimande du sergent indigène de garde, qui profite de la première pause horaire pour le ramener aux locaux disciplinaires et l’enfermer dans une cellule. Plusieurs autres militaires et moi-même stationnions juste à ce moment devant les portes de ces locaux, et tous nous remarquâmes — et cela de façon très précise — qu’en tirant brusquement à soi la porte du cachot où il venait d’enfermer l’homme, le sergent s’était éraflé légèrement le dos de la main droite, à l’angle de l’encadrement de la baie ; et cette remarque nous fut confirmée par le geste instinctif, qu’il accomplit aussitôt, de porter à ses lèvres cette insignifiante blessure. Or, le surlendemain, on vient chercher Donseau ; quatre hommes armés de fusils l’encadrent, et le conduisent, en le serrant de près, à la « salle des rapports » des tirailleurs : là, un capitaine, assisté d’un sergent-major faisant fonction de greffier, lui apprend qu’il demeurera en cellule jusqu’à nouvel ordre, car il est prévenu, sur la plainte remise la veille[1]

  1. Nous sûmes plus tard que le motif de la punition infligée à Donseau par le sergent indigène pour mauvaise volonté au peloton de punition avait été rédigé par le sergent Amadei, de la 4e compagnie de discipline, commandant alors le camp des disciplinaires détachés aux environs de Laghouat : c’est à lui que l’indigène, complètement ignorant de la langue française écrite et même parlée, s’était adressé pour la rédaction de la punition.

    Les disciplinaires punis, en subsistance à la compagnie de tirailleurs algériens détachée à Laghouat, appartenaient tous au camp du Col des Sables de Laghouat, dirigé par ce sergent Amadei (j’ai rapporté précédemment, dans La revue blanche quelques-unes des cruautés que savait imaginer ce gradé). Quelque temps auparavant, las des tortures que leur infligeait Amndei, ces disciplinaires, au nombre de vingt-cinq (le camp comprenait vingt-huit hommes), s’étaient enfuis du camp pendant la nuit et s’en étaient venus à Laghouat, se plaindre au commandant supérieur de toutes les atrocités dont leur camp était quotidiennement le théâtre. Ces vingt-cinq disciplinaires furent punis de soixante jours de prison, dont quinze de cellule pour leur fugue ; mais Amadei, à la suite de cette réclamation, se vit infliger trente jours de consigne, et le commandant supérieur ordonna que désormais les punitions des disciplinaires ne seraient pas subies au camp, sous le tombeau, mais dans les prisons du bataillon d’Afrique et des tirailleurs, dont certaines compagnies recevaient en subsistance, tour à tour, les militaires étranger à la garnison de Laghouat. C’est ainsi que les disciplinaires d’Amadei furent versés à la compagnie de subsistance