tout au-dessus des fesses. Il vécut sur son fauteuil, dans la salle à manger. Les fenêtres donnaient sur la rue et, la table auprès de son ventre, il se sentait bien chez lui. On ne peut pas dire que ce fut un grand changement car, à cinquante-deux ans, l’âge est venu où l’on a marché, chassé, roulé pour toute sa vie. D’ailleurs, s’il ne lui restait plus les jambes, du moins lui restait-il l’estomac, et sa fortune lui permettait de garnir sa table et de penser pendant chaque repas qu’il n’y avait au monde d’autres limites que celles de son ventre.
Monsieur Edmond n’aimait pas lire, parce que dans les livres on raconte ce que l’on veut et parce que la lecture donne envie de dormir. Il avait lu des romans au temps de sa jeunesse et en gardait un souvenir où se mêlaient les bocks du Quartier Latin et les idées un peu folles des jeunes gens. Il connut pourtant un ou deux romans d’Émile Zola et lorsque le héros disait : « Merde ! » Monsieur Edmond pensait : Comme cela est vrai ! Il eut toutes les idées que l’on amasse dans la bourgeoisie des campagnes où le plein air ou, comme on dit, la libre nature, emplit la tête, et où les bons repas remontent du ventre au cerveau comme de la matière dans les pensées.
Mais pourtant il n’était pas encore heureux. Un ventre, c’est bien, mais quand le ventre est plein, quand le ventre est trop plein et que l’on reste avec sa tête vide dans un fauteuil auprès d’une table, ne semble-t-il pas qu’il manque quelque chose et ne se rappelle-t-on pas que le bonheur est l’état de celui à qui rien ne peut manquer. Monsieur Edmond regardait par la fenêtre l’air de la rue et se renfermait comme lui entre des rangées de maisons. Il reflétait, comme les vitres, les passants et les pierres et acoquinait ses idées à n’importe quoi, pourvu qu’elles fussent remuées un peu.
Un jour tombèrent du ciel cette histoire Perdrix et Jacques le mécanicien. Il semblait à Monsieur Edmond qu’une injustice avait été commise et que, parmi la filiation des pouvoirs, quelqu’un, bravant le sien, avait blessé la loi. Il en ressentit une douleur particulière de vanités et d’habitudes atteintes comme si ses veines charriaient une esquille, comme si une paille compromettait sa base d’or. Dans ces