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Le Vieux en prit un dans chaque bras. Le petit était un petit chat grillé comme son père, mais la petite était blonde et d’une autre espèce. Tout de suite ils l’appelaient grand-père, lui tiraient la barbe et aimaient ses lunettes noires. Avant que tout le monde fût entré, il s’asseyait et les avait déjà sur ses genoux.

— Dame ! mon père, si tu veux les croire, ils t’auront bien vite fatigué.

Il les posa. On s’embrassait. Les garçons l’embrassaient comme on s’embrasse entre hommes, avec une sorte d’élan. Il saisissait les brus, d’une main, sous le menton, en appuyant les doigts sur les joues et les baisait bruyamment. Et quand il eut fini, il dit :

— Ah ! mes deux pauvres petites femmes, venez donc, que je vous embrasse encore un coup !

Tout le monde s’assit et le Vieux disait, comme autrefois, du temps où il gagnait sa vie :

— Dame ! on n’est pas ici pour s’amuser. Si nous trinquions en attendant les autres.

La Vieille apporta des verres et une bouteille, et le Vieux :

— Tu ne vois pas, mon Jacques, Déry le cordonnier qui dit : " Ce n’est pas vrai qu’il est mécanicien au chemin de fer. Les mécaniciens, c’est des gars qui sortent des écoles d’Arts et Métiers. »

Et Jacques répondait :

— Laisse-les donc, mon père. Tu sais bien qu’il y a partout des jaloux.

Pierre et Marie arrivèrent à huit heures. Tout d’un coup ils ouvrirent la porte, et ils étaient au milieu de la bande.

— Pourquoi donc que vous n’avez pas emmené les deux enfants ? Ce n’est pas si souvent qu’on se réunit.

Il y eut une tournée d’embrassades, et les petits avaient un peu peur. La Vieille apporta deux verres :

— Ce n’est pas tout. À présent il faut trinquer.

La veille au soir, le Vieux avait tué un lapin. Il les soignait, les comptait, les sentait croître et pensait : « J’ai une mère lapine qui doit peser dans les six livres. Comme elle va faire notre affaire ! » La Vieille avait acheté un rôti de cochon et, s’il n’y avait pas assez, on pourrait toujours faire une omelette. Il y avait dans le placard trois bouteilles de vin.