insensé que l’on reconnaisse pour ainsi dire officiellement la légitimité d’un enseignement monstrueux, en tolérant l’existence des collèges congréganistes. Car le christianisme est une doctrine antisociale, anti-humaine, une doctrine de mort qui supprime la vie, la terre, au profit d’une existence supraterrestre, appât fallacieux à l’aide duquel se poursuit un but de domination trop réelle et trop tangible. Socialement, on n’a pas le droit de mal faire : il faut donc à tout prix enlever à cette secte malfaisante sa puissance nocive. »
Nous demandons à M. Zola quelles étaient, à cet égard, les idées de Flaubert.
J’ai beaucoup aimé Flaubert et j’ai gardé pour sa mémoire un véritable culte. C’est le meilleur, le plus brave homme que j’aie connu et le plus magnifique écrivain aussi, mais enfin votre question me force à reconnaître que s’il était, artistiquement, très affranchi, — comme philosophe, il était l’homme de son temps et de son milieu, foncièrement conservateur, antirévolutionnaire. Je me rappelle que lorsque je le connus, je collaborais à la Tribune, feuille où Pelletan, Ferry et d’autres combattaient pour les idées libérales. Flaubert me regardait un peu comme une curiosité et il me dit, un jour : « Enfin que veulent-ils donc, tous ces républicains ? » Flaubert n’a jamais été préoccupé de questions sociales ; c’était, au fond, un bourgeois enragé.
Littérairement, c’était et ce n’était qu’un lyrique venu au confluent de Balzac et de Hugo ; il n’était pas du tout l’homme de Madame Bovary. Il arriva qu’il fut agacé par les prétentions naturalistes de Champfleury et il écrivit ce roman « pour, ainsi qu’il le disait, montrer à ces gens-là ce que c’était qu’un livre réaliste ». Et tenez, on y découvre bien les vraies tendances de Flaubert au point de vue social, dans la complaisance avec laquelle il a accablé Homais de tous les ridicules. Longtemps, moi aussi, j’ai considéré ce pharmacien comme le type du sot prétentieux qui se pare d’intellectualité à l’aide de tous les lieux communs. Depuis, mon opinion a changé et j’ai reconnu que la victime des sarcasmes de Flaubert avait raison et que, seul en somme, il représentait bien authentiquement, dans l’œuvre du maître, le progrès. J’ai du reste plusieurs fois été tenté décrire un panégyrique de Homais. C’était chose presque trop facile. »
Mais disons-nous, cet exemple ne montre-t-il pas que l’affranchissement de la pensée est peut-être plutôt affaire de nature, de tempérament, que d’intelligence et de savoir, car, semble-t-il, s’il en était autrement, à égal degré de culture, les hommes devraient sur toutes les grandes questions, penser de même.
Votre observation doit être juste. Sinon, comment expliquer que sur cette Affaire Dreyfus, à laquelle je reviens parce qu’elle a réellement départagé les écrivains et les penseurs en deux camps bien tranchés, nous avons trouvé contre nous certains hommes que tout appelait dans nos rangs ? Ce fut même, pour nous, quelque temps, un jeu de nous demander de quel bord auraient été quelques-uns des grands disparus. Hugo et Renan par exemple, celui-ci avec douceur mais de façon bien déterminée cependant, auraient été des nôtres ; à n’en pas