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2° L’influence que j’attribue à mon éducation sur mon développement spirituel et moral ? C’est plus qu’une « influence » ; mon éducation m’a faite ce que je suis, toute, et je ne serais rien sans elle. C’est pourquoi j’estime que l’éducation est le facteur essentiel de la personnalité. Tous les autres (l’hérédité, la famille, et même les aptitudes naturelles) sont secondaires, et n’agissent que dans la mesure où la discipline intellectuelle utilise leur concours. C’est pourquoi je n’ai jamais compris l’argument tiré du cas de Voltaire, élève des jésuites, et des exemples analogues. Ce sont des exceptions qui confirment la règle. Sinon, l’on en viendrait à soutenir cette thèse absurde qu’il vaut mieux confier nos enfants aux bons Pères pour être plus sûrs d’en faire des esprits libres.

3° Je pense que l’expression « liberté de l’enseignement » n’a pas plus de sens que celles-ci : « liberté de la médecine, liberté de la justice, liberté du vol… » Si la « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », c’est dire qu’elle a l’individu pour mesure. La liberté ne vaut que par et pour l’individu ; au point de vue social, la liberté n’est que l’ensemble des conditions qui permettent à l’individu de développer toutes ses puissances. Seule, la liberté individuelle est réelle et respectable. Or, il tombe sous le sens qu’en matière d’enseignement, il ne s’agit pas d’un individu qui se suffirait à lui-même, mais de plusieurs individus dont l’un (le maître) exerce sur les autres (les élèves) plus qu’une influence, — un empire. Il convient donc de régler les rapports entre ces différents termes, de manière à sauvegarder la liberté spirituelle des élèves. C’est là ce qui justifie l’intervention de l’État, s’il est vrai que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ».

Donc :

A. La prétendue « liberté d’enseigner » n’est pas une forme de la liberté individuelle. Je ne connais que le droit d’enseigner et ce droit n’est pas naturel, primitif, immédiat. Il tient étroitement à l’économie du système social. Par suite, c’est l’État qui doit l’exercer ou en régler l’exercice.

B. Quand on parle de liberté d’enseignement, on semble d’ordinaire ne songer qu’à la liberté de l’enseignant. Ce qui doit au contraire nous intéresser exclusivement, c’est la liberté de l’enseigné. L’objet de toute législation scolaire ne saurait être que d’assurer le respect du droit de l’enfant. Or, le premier tuteur de l’enfant, c’est l’État. Par suite, le droit de l’enfant se confond avec le droit de l’État.

C. Il ne faut pas dire liberté d’enseignement, mais enseignement de liberté. La liberté n’est pas le principe, mais la fin de l’éducation. Il est d’autant plus malaisé de l’atteindre que l’enseignement est une forme de l’autorité. Le professeur est un maître. Comment avec de l’autorité faire de la liberté ? Voilà tout le problème. Tous nos efforts doivent tendre à réduire au minimum cette autorité redoutable du pédagogue en même temps que le dogmatisme scolaire. C’est pour cette raison, ajoutée aux précédentes, que je rapporte à l’État le droit d’enseigner. Car l’autorité de l’État (je ne parle, bien entendu, que de l’État républi-