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qu’une connaissance vague de l’univers, mais inclinaient au goût de la littérature.

Je considère que c’est à peu près tout ce que je dois à mes professeurs. Mon éducation se fit à côté, dans la maison de mon père et dans la vie tôt affranchie vers laquelle m’attira la passion presque sauvage de la nature. Je fus très vite le jeune homme un peu fou qui se cherchait à travers les arbres, les ruisseaux, le soleil, le vent et emportait avec lui un tome de Hugo ou de Michelet.

Je me sens porté vers la liberté de l’enseignement : je n’ai pas plus peur de celle-là que des autres. Je ne crains que ce qui opprime en nous le riche instinct individuel et l’asservit à la conformité intellectuelle et morale. Mais le sens même du mot « liberté » implique l’idée d’un enseignement vraiment libre, soustrait au principe confessionnel et à la prédominance d’aucune secte religieuse et philosophique.

De M. Félix Le Dantec :

1° J’ai fait mes études littéraires au collège de Lannion (établissement municipal laïque), puis mes classes de sciences au lycée de Brest et au lycée Janson de Sailly, d’où je suis entré à l’École normale. J’étais externe au collège de Lannion et, pendant cette première partie de ma jeunesse, mon éducation a été dirigée surtout par mon père. Mes professeurs ne m’ont guère appris que des faits ; c’est mon père qui m’a appris à penser. Il était médecin et voltairien.

2° Tous les caractères des êtres vivants sont le résultat de l’hérédité et de l’éducation ; je crois avoir remarqué autour de moi que, suivant les natures, l’éducation à une importance plus ou moins considérable. Il y a des individus moins souples que d’autres ; j’étais, je pense, parmi les plus éducables. Ce qui me paraît avoir été essentiel dans mon éducation, ce ne sont pas les choses qu’on m’a enseignées (j’ai appris l’histoire sainte), mais la discipline intellectuelle à laquelle on m’a soumis. Je suis, en particulier, très reconnaissant à l’un de mes professeurs de mathématiques qui avait, au plus haut point, l’esprit scientifique et qui savait le communiquer à ses élèves. Il m’a appris à ne jamais employer, dans les raisonnements, un seul mot dont j’ignorasse le sens précis et je crois que cette discipline a dominé toute ma vie cérébrale. J’ai eu aussi le grand bonheur de ne pas suivre de classe de philosophie ; j’y aurais appris, probablement, exactement le contraire de ce que m’a enseigné mon professeur de mathématiques.

3° Quant à la liberté de l’enseignement, le seul point qui me paraisse indiscutable, c’est que l’on doit interdire d’enseigner aux enfants des choses reconnues fausses. Je sais bien que si, d’autre part, on développe chez eux l’esprit de précision, ils s’apercevront par eux-mêmes, quand ils seront grands, qu’on les a trompés quand ils étaient petits. Mais il serait plus simple de leur éviter dès le début cette rectification ultérieure ; d’autant plus qu’à force de leur faire prendre, de bonne heure, des vessies pour des lanternes, on peut arriver à détruire définitivement chez eux toute trace de sens critique. Cela doit arriver surtout, me