Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sions délicates me faisait éviter les camaraderies vulgaires. Ce fut l’époque la plus terrible mon existence. Mais de ce recueillement taciturne, de cette enfance fermée et triste, j’ai tiré les plus grands bénéfices. C’est alors que j’ai senti s’exalter ma sensibilité, je me suis nourri de rêveries amères, je n’avais pas dix ans, que naissait en moi la vague notion de la justice. Le Palais de Versailles dédié aux exploits historiques, avec sa cour d’honneur toute peuplée des statues de nos grands hommes, avec ses jardins magnifiques et pompeux, succita en moi le culte de la gloire et le goût dangereux et charmant des grandes choses. Ce goût était si fort que je suis surpris d’en avoir si peu accomplies !

Tous ces sentiments intimes, sur lesquels, aujourd’hui, je ne veux pas m’étendre car je n’ai guère l’âge des confidences, eurent sur moi plus d’influence que tous les programmes scolaires. Quant au personnel enseignant je n’eus guère non plus à m’en louer. Tous les professeurs à qui j’eus affaire me parurent aussi barbares, et des pédagogues aussi empiriques que ceux du temps du bon Lhomond.

Ce ne fut que plus tard — au lycée Condorcet — où M. Jean Izoulet fut mon professeur de philosophie — que j’eus la sensation de ce qu’était un maître républicain. Sa dialectique éloquente et claire éveilla notre adolescence pétulante aux hautes luttes de notre époque, il nous initia à la vie des idées comme on mène les enfants à la féérie. Les leçons de cet éminent carliste décidèrent de ma vocation en quelque sorte religieuse, et fixèrent les rêveries de l’enfant qui passait ardent et mélancolique au milieu des fresques glorieuses et des picturales épopées du Palais de Versailles.

Quoi qu’il en soit, je suis plutôt reconnaissant à l’enseignement laïque. Mais, comme il est timide encore, et comme il est insuffisant ! Pour lui donner toute sa force et son efficacité, il serait bon, je crois, de supprimer complètement l’enseignement libre et les établissements congréganistes. Ces maisons entrant en concurrence active avec les lycées de l’État, nos proviseurs et nos éducateurs sont obligés à toutes les concessions, sont réduits à toutes les craintes. La concurrence étant supprimée, ce serait fini de toutes ces timidités, les maîtres deviendraient directeurs de conscience, au lieu d’être des fonctionnaires craintifs et indifférents. Au lieu de professer un éclectisme timoré, ils nous initieraient à la morale du progrès, aux bienfaits de l’Esprit Nouveau, et au lieu de nous donner — à peine — une vague teinture libérale, ils nous construisaient une foi robuste conforme aux lois de la Nature et aux destinées de l’Humanité.

L’enseignement laïque n’existe pas, il est donc à créer. Telle est ma pensée.

De M. Camille Lemonnier :

J’ai suivi aux écoles un enseignement laïque : le prêtre n’apparaissait qu’à l’époque de la première communion. Ensuite, on se poussait comme on pouvait à travers des « humanités » qui ne procuraient