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sances que nous acquérons à l’école n’ont de la valeur que pour des pédagogues. Encore une fois, le seul avantage qu’offrent pour nous la plupart des vérités qu’on nous enseigne en classe est que nous pourrons, si notre mémoire est bonne, les énoncer à toute occasion. Mais elles sont sans influence appréciable sur notre vie.

C’est Racine qui a écrit Andromaque ; c’est Annibal qui fut vainqueur à la bataille de Cannes et non pas le roi Dagobert ; les abeilles appartiennent à l’ordre des hyménoptères et enfin, la racine carrée de deux est un nombre incommensurable : c’est entendu. Mais ce qui importe pour chacun de nous c’est autre chose. Qu’on soit ébéniste ou marchand de drap, historien ou paysan, on a d’abord besoin d’être en bonne santé ; pour bien vivre, chacun a besoin aussi de clairvoyance, de volonté et de courage ; enfin celui-là aura le moins de chances de connaître l’ennui à qui, dès sa jeunesse, on aura su donner le goût de l’activité et à qui l’on aura appris à découvrir de la beauté dans le monde. Être fort : c’est le seul problème qui se pose à nous chaque jour. Il ne s’agit pas ici de rechercher comment l’école pourrait nous aider à le résoudre. J’ai simplement voulu montrer qu’elle veut mettre une empreinte utile sur les êtres jeunes qu’on lui confie. Elle se fait une conception définitive — valable pour une période de vingt ans environ du citoyen instruit et moral ; c’est-à-dire qu’elle énumère, dans un programme détaillé et invariable, toutes les notions que l’écolier doit acquérir au cours de ses études ; et c’est d’après ce modèle qu’elle façonne les êtres nouveaux. J’essaierai une autre fois d’analyser les effets d’une telle éducation.

On se demande sans cesse si l’enseignement classique a plus ou moins de valeur éducative que l’enseignement moderne. On s’applique aussi à distinguer nettement le but de l’école primaire de celui de l’école secondaire. Enfin, on examine séparément le cas des jeunes filles de celui des jeunes garçons. Peut-être ces distinctions n’ont-elles quelque importance que parce qu’elles sont traditionnelles. Quoi qu’il en soit, on peut en faire une autre plus fondamentale.

L’école doit-elle avant tout ne pas compromettre la santé physique et intellectuelle de l’enfant ? Doit-elle s’ingénier, avec un soin tout spécial, à lui donner le goût de l’activité, à lui révéler la joie qu’il y a à chercher, à penser, à se servir de ses muscles, de ses sens et de sa raison ? Doit-elle, en un mot, développer autant que possible les aptitudes de l’écolier et accroître toujours plus la souplesse et la vigueur de son corps et de son esprit ?

Ou bien, ayant vérifié la valeur intrinsèque considérable de certaines connaissances en matière d’histoire, de géographie, de littérature, de mathématiques et de sciences naturelles, ayant reconnu que ces connaissances sont indispensables au civilise d’aujourd’hui, l’école doit-elle déterminer, une fois pour toutes, en quantité et en qualité, le savoir que tous ses élèves indifféremment devront acquérir au cours de leurs études ? Si telle est sa mission véritable, on comprendra qu’elle fasse