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seuil, le regard est arrêté par quelques Définitions lumineuses. On entre. À l’intérieur, tout n’est qu’ordre, luxe et beauté. Les Vérités y ont été mises sous leur forme la plus récente, et sur chacune on a passé une fraîche couche de vernis littéraire. Des formes qui n’ont plus rien d’humain et qui portent des noms étranges sont accrochées aux murs, prière de ne rien toucher. D’ailleurs, à gauche ou à droite, aucune issue. Le visiteur n’a rien de mieux à faire qu’à suivre son guide qui sait, sans doute, lui, où il va. Après un voyage assez long, ébloui par trop de merveilles, on aperçoit enfin la sortie. On fait encore quelques pas, puis, étonné, on se retrouve tout-à-coup dans la rue. On se retourne, car on a deux ou trois questions à poser, mais, péremptoire, une grande porte fermée se dresse là, tout près, avec cet écriteau : fin.

En termes moins imagés, on peut dire que l’enfant, obligé de suivre ces cours bien composés, préparés en entier à l’avance, est, en quelque sorte, à la merci de celui qui l’instruit ; il est celui des deux qui doit comprendre l’autre. Ces cours font parfois honneur au talent de composition de celui qui les a rédigés, mais ils sont sans valeur éducative. Les écoliers auxquels ils s’adressent n’apprennent pas que ce sont des besoins essentiellement humains, besoins qu’ils pourraient retrouver en eux-mêmes, qui expliquent la prise en considération de ces problèmes-ci ou de ceux-là ; ils ne soupçonnent pas les efforts patients, les expériences nombreuses qui ont précédé la découverte des vérités qu’on leur enseigne et leur coordination. Il a fallu plus de cent ans aux savants et aux philosophes pour se mettre d’accord sur le sens exact et la portée de tel principe fondamental de la mécanique. À nos actuels professeurs, trois minutes suffisent pour démontrer ce principe avec élégance ; et d’un ton qui clôt le débat, ils ajoutent : — « C. q. f. d. » — L’enfant qu’on éduque par ces méthodes rapides méconnaîtra l’admirable ingéniosité que les hommes dépensent pour découvrir de l’unité dans le monde et, d’autre part, il ignorera toutes les causes d’erreur qui compromettent leurs résultats. Les vérités qu’il débite ont pour lui une égale importance ; il ne sait pas ce qui fait la solidité des unes et la fragilité des autres. Ses maîtres ne lui apprennent pas à chercher ; la science perfectionnée qu’il acquiert en classe est sans relation avec les besoins profonds de son esprit ; elle lui est indifférente.

Qu’on montre à l’écolier ce qui est imparfait, ce qui est inachevé. Les enfants ne comprennent pas les « chefs-d’œuvre » ; ils sont trop pauvres en souvenirs pour être sensibles à leur pouvoir évocateur ; ils peuvent s’intéresser longuement au tableau qu’un paysagiste, assis au bord de la route, vient de commencer ; mais ils ne jetteront qu’un coup d’œil distrait à l’œuvre parfaite lorsqu’elle sera accrochée au mur, dans quelque salon.

Si cela était nécessaire, on pourrait sans peine ajouter encore bien des arguments à ceux qui précèdent. Dans les leçons où il enseigne à l’enfant sa langue maternelle, l’histoire ou la morale, le pédagogue est animé du même esprit que dans les autres. Il procède comme s’il avait