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donc… trois fois plus » et il ne conçoit bientôt plus d’autre mode de dépendance que la proportionnalité. Il lui arrivera alors de dire, si l’occasion s’en présente, que les superficies de deux champs rectangulaires étant dans le rapport de un à deux il s’en suit évidemment que leurs contours respectifs sont entre eux dans le même rapport. Et il commettra avec sérénité une série d’erreurs analogues. Il ne sait pas ce qu’est l’évidence. Il ferme les yeux et il retient des mots.

À l’école l’enfant raisonne sans penser. En observant, en faisant des hypothèses et en contrôlant celles-ci avec soin on parvient à se faire des convictions peut-être provisoires mais, en tous cas, défendables. Le pédagogue ne révèle pas à l’écolier la complexité des choses. Il néglige de lui apprendre qu’il n’existe pas de méthode rapide, parfaite, pour arriver à la certitude et que, devant tout problème, il faut d’abord être attentif. Trop tôt l’enfant se fie à des énoncés restés dans sa mémoire.

Et cela est inévitable dans les écoles d’aujourd’hui. Le maître, se conformant à des programmes d’une précision gênante, a déterminé d’avance la série des questions qu’il traitera dans le courant de l’année devant ses élèves. Telle règle classique, applicable dans ces cas prévus dès le premier jour, prend ainsi dans son enseignement et dans l’esprit de l’écolier une importance qu’elle n’a pas pour celui qui sait que la partie de l’univers de beaucoup la plus considérable est celle qui est hors de la classe. En d’autres termes, si l’on ne se hâtait pas d’enseigner à l’écolier des vérités répétables, à seule fin de les lui faire énoncer à son tour, il saurait ce qui précède la vérité. Si l’on encourageait toujours les libres manifestations de sa curiosité, il verrait bientôt que les relations que l’on peut constater entre les choses diffèrent beaucoup les unes des autres et qu’il ne faut formuler qu’avec scrupule des règles générales. Il lui apparaîtrait que tel principe, d’un usage peut-être indéfini, n’a pas une portée infinie. Et si, de la sorte, il se privait de l’unité artificielle que ses professeurs d’abstraction veulent mettre dans ses idées, il connaîtrait, par contre, la joie d’observer, d’être clairvoyant et actif.

Les écoliers d’aujourd’hui, habitués trop tôt aux raisonnements de leurs maîtres, sont portés à voir dans la vérité quelque chose d’antérieur à l’expérience, au lieu de la considérer comme l’expression de résultats suffisamment nombreux. Confiants dans leur logique infaillible, ils auront la prétention de résoudre des problèmes de toute nature en raisonnant ; c’est-à-dire qu’ils substitueront sans cesse à une réalité très complexe qu’ils connaissent mal un ensemble bien défini de conditions très simples. Avec sérénité, ils formuleront : « Axiome. L’homme est foncièrement mauvais ; Donc…… Or…… Par conséquent…… (C. q. f. d.) ».

Que les caractères de l’enseignement officiel ne dépendent presque pas des aptitudes et des goûts de ceux auxquels il s’adresse et que la curiosité de l’enfant soit, d’ordinaire, sans effet appréciable sur les leçons auxquelles il assiste, c’est ce que l’on reconnaît à des signes