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ques que lui enseignent les spécialistes de la pédagogie devient lui-même un instrument docile et aveugle fonctionnant selon des lois qu’il ne comprend pas.

Comme l’école n’a probablement pas su donner à chacun de nous le goût des mathématiques, je n’insisterai pas sur ce sujet. Que le lecteur me permette toutefois d’ajouter quelques mots à ce qui précède.

L’algèbre qu’on enseigne aux écoliers d’aujourd’hui est une science qui est arrivée à un très haut degré de perfection. Les méthodes sont d’une telle généralité qu’elles sont applicables dans tous les cas ; et celui qui, à la suite d’un apprentissage docile et d’assez courte durée[1] s’est familiarisé avec elles peut résoudre un très grand nombre de problèmes avant d’en rencontrer un qui le fasse réfléchir. L’instrument magique dont on lui a enseigné l’emploi est à ce point commode qu’il s’en sert les yeux fermés[2]. Les géomètres grecs ne résolvaient pas tous les problèmes « du second degré » de la même manière. D’autre part, pour eux, ces problèmes admettaient tantôt deux solutions, tantôt une, tantôt zéro. Nos actuels collégiens de quinze ans ont à leur service une formule qui résout toutes les équations du second degré. Cette formule leur apprend que tout problème qui, en abstrait, se traduit par une équation de cette catégorie admet deux solutions. Si, en fait, le problème n’en admet qu’une, on apprend à ces potaches mornes et confiants qu’il en admet deux mais que ces deux solutions sont égales entre elles. S’il n’en admet point, on annonce à la classe émerveillée qu’il en admet deux imaginaires. Tout cela est fort clair pour celui qui a réfléchi aux extensions successives qu’il a été utile de donner au sens des mots : nombre, additionner, multiplier, etc. Mais, on me croira, je pense, si j’affirme que beaucoup d’écoliers studieux ne comprennent rien à ce que leur enseigne leur professeur d’algèbre.

Pour arriver à des vérités nouvelles par voie de déduction, il faut — monsieur de La Palisse le savait — que celui qui raisonne ait reconnu au préalable l’exactitude de quelques propositions qui lui serviront de prémisses. Il est donc regrettable que l’école donne l’habitude du raisonnement à des enfants qui ne savent encore rien. La conjonction donc est d’un maniement délicat ; et les neuf-dixièmes des donc ou des par conséquent qui se prononcent chaque jour sont employés mal à propos. Parce que durant les premières années où il reçoit des leçons d’arithmétique, — (c’est le dernier exemple que j’emprunterai à la science des nombres), — l’écolier entend sempiternellement dire : « Quatre fois moins de mètres coûteront quatre fois moins » ou bien : « En trois fois plus d’heures il parcourra trois fois plus de kilomètres » etc., sa mémoire conserve prématurément cette forme invariable : — « Quatre fois moins… donc… quatre fois moins ; trois fois plus…

  1. Il ne s’agit ici que de l’algèbre élémentaire.
  2. C’est pourquoi M. Fouillée (qui a eu le tort de confondre l’enseignement des sciences tel qu’il se donne aujourd’hui avec l’enseignement des sciences tel qu’il pourrait et devrait être) a pu dire que l’algèbre est un moulin à équations.