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une simplicité surprenantes », et qu’ainsi, dans ses grandes lignes, le récit mosaïque de la création concorde avec les conclusions de la science la plus moderne, pour ne pas dire la plus avancée.

N’est-ce pas là ce qu’avait annoncé M. Tacaud ? Je dois avouer, en revanche, qu’il n’avait pas prévu l’éloquence avec laquelle M. Brunetière a tiré d’un Renan et d’un Hæckel la démonstration de cette éclatante vérité. Mais ce n’est pas tout ; écoutez encore l’éloquent apologiste (P. 43) :

Une autre observation vous frappera peut-être davantage, c’est le nom de Charles Darwin qui est présentement, et à bon droit, inséparable de l’idée d’Évolution, mais dix ou douze ans avant Darwin, — dans un livre qui fit presque autant de bruit à son heure que le livre fameux de l’Origine des espèces, — un autre Anglais, qui n’était pas un naturaliste, avait déjà plus qu’entrevu toute la fécondité de l’idée : je veux parler de celui qui devait être un jour le cardinal Newman, et du livre auquel il a donné le titre d'Essai sur le développement de la doctrine chrétienne. Vous en connaissez sans doute la thèse essentielle. « Je soutiens, y disait l’auteur, qu’en raison de la nature de l’esprit humain, le temps est nécessaire pour l’intelligence complète et le perfectionnement des grandes idées, et que les vérités les plus élevées, encore que communiquées au monde une fois de plus par des maîtres inspirés, ne sauraient être comprises tout d’un coup par ceux qui les reçoivent. » N’est-ce pas là, messieurs, toute l’évolution ? « Il y a temps pour tout », selon le mot même de l’Ecclésiaste ! « L’oiseau en état de voler diffère de la forme qu’il avait dans l’œuf. Le papillon est le développement, mais en aucune manière l’image de sa chrysalide. La baleine est classée parmi les mammifères, et cependant nous devons penser qu’il s’est opéré chez elle quelque étrange transformation pour la rendre à la fois si semblable et si contraire aux autres animaux de sa classe. » C’est toujours Newman qui parle, messieurs, et non Darwin, — on pourrait aisément s’y tromper.

Voyez comme cela est important ! Quelques pages plus haut (p. 37), à propos d’Auguste Comte, M. Brunetière disait :

Reprenons d’abord notre bien dans le positivisme ! Mais ensuite, et puisqu’il s’agit ici du plus grand philosophe que la France ait connu depuis Descartes, si peut-être il avait ajouté quelque chose à ce qu’il nous empruntait, ne faisons pas les dégoûtés, — passez-moi l’énergie familière de l’expression — et approprions-le-nous à notre tour. C’est ce que j’appelle, messieurs, se servir de ses adversaires.

Et puisque Newman, futur cardinal, a parlé d’évolution dix ans avant Darwin, la théorie de l’évolution n’appartient-elle pas à l’Église ? Darwin y a peut-être ajouté quelques mauvaises choses (p. 45) :

Darwin ira sans doute plus loin ; mais tout justement, c’est en allant plus loin qu’il faussera la doctrine et que ses disciples, à leur tour, en compromettront jusqu’à la vérité.

Ainsi donc, ce qu’il y a de bon dans la théorie de l’évolution appartient au cardinal Newman. L’Église peut reprendre son bien dans Darwin. Voilà qui n’est pas douteux et je ne discuterai pas l’impor-