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M. Brunetière est plein d’espoir

Fabrice Tacaud était bon prophète, quand il disait, il n’y a guère plus d’un an, à son ami l’abbé Jozon : [1]

Ainsi vous reniez aujourd’hui ceux qui ont autrefois voulu rendre la terre fixe malgré les astronomes. C’est qu’aujourd’hui, vous ne pouvez plus lutter contre l’évidence, vous n’êtes plus assez forts. Pour un peu vous démontreriez qu’en interprétant convenablement la Bible on y trouve la rotation de la Terre autour du Soleil. Vous avez accepté péniblement les conquêtes de l’astronomie ; puis il a fallu vous résigner à accepter celles de la géologie ; je ne désespère pas de vous voir accepter un jour celles de la biologie et déclarer que Moïse a été un précurseur de Darwin.

Voici justement que M. Brunetière [2] a réalisé la prédiction de M. Tacaud. Et M. Brunetière n’est pas un homme dont les opinions soient indifférentes à l’Église. Son « célèbre discours de Lille » marquera, suivant son éditeur (les Motifs d’espérer, p. 4), « une date dans l’histoire de l’apologétique. » Je pense que son non moins célèbre discours de Lyon, celui qui est reproduit dans la nouvelle brochure de la collection « Science et Religion », sera également apprécié des apologistes. Écoutons donc M. Brunetière (p. 41) : « redresser les fausses interprétations qu’on en donne et faire à son tour servir l’évolutionnisme au progrès de l’apologétique. »

Je ne remonterai pas pour cela, dit-il, jusqu’à l’origine des choses, et c’est à peine si j’insisterai sur les remarquables endroits de leurs œuvres où un Renan, par exemple, et même un Hæckel ont, à leur manière, assez inattendue, justifié, contre les chicanes d’une vaine exégèse, le récit biblique de la création. « Dans le récit mosaïque de la création, dit Hæckel, deux des plus importantes propositions fondamentales de la théorie évolutive se montrent à nous avec une clarté et une précision surprenantes : ce sont l’idée de la division du travail ou de la différenciation et l’idée du développement progressif ou du perfectionnement. » On lit d’autre part, dans l’Histoire d’Israël, un passage curieux sur « le génie des Darwin inconnus », — c’est l’expression même de Renan, — qui, les premiers, ont conçu cette idée « que le monde a un devenir, une histoire, où chaque état sort de l’état antérieur par un développement organique » ; et ces Darwin, selon sa supposition, ce sont précisément les rédacteurs de la Genèse. Et je n’ai garde, messieurs, de donner à ces aveux plus de portée qu’ils n’en ont ! Je ne veux pas essayer d’en tirer plus de conséquences qu’ils n’en contiennent ! Mais n’ai-je pas le droit de les retenir, et, comme on dit, d’en faire état ? Admettons que l’évolution soit plus qu’une hypothèse. Il ne m’est pas indifférent, il ne peut pas nous être indifférent que les « propositions fondamentales les plus importantes de la théorie » se montrent à nous dans la Genèse « avec une clarté et

  1. Le Dantec : Le Conflit, p. 62.
  2. Brunetière : Les Motifs d’espérer, Blond et Barral, 1902.