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tout le monde, la poésie, le sarcasme, l’histoire, le pathos, le bathos, le blasphème, et termina par un puissant cri de guerre en faveur de la liberté de la parole, la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement, la Glorieuse Aigle d’Amérique et les principes de la Justice Éternelle ! (Applaudissements.)

Lorsque le général se rassit, ce fut avec la conviction que, si de bons et forts témoignages, un grand discours et un entourage de figures confiantes et admiratrices valaient quelque chose, la cause de Morgan était enterrée. L’ex-gouverneur appuya sa tête sur sa main pendant quelques minutes, tandis que l’auditoire silencieux attendait sa décision. Puis il se leva et resta debout, le front incliné, et réfléchit de nouveau. Puis il se promena de long en large, à longues et lentes enjambées, le menton dans la main, tandis que l’auditoire attendait toujours. À la fin il revint à son trône, s’assit et commença d’un ton pénétré :

Messieurs, je sens bien la grande responsabilité qui repose aujourd’hui sur moi. Ceci n’est pas une cause ordinaire. C’est au contraire évidemment la plus solennelle et la plus redoutable dont jamais homme ait été appelé à décider. J’ai écouté attentivement les dépositions et j’ai remarqué que leur poids, et leur poids accablant, penche en faveur du plaignant. Mais, messieurs, prenons garde à la manière dont nous laisserons des témoignages purement humains, une ingéniosité d’argumentation humaine et des idées d’équité humaines nous influencer en des moments aussi graves. Messieurs, il ne nous sied pas, vers de terre que nous sommes, de nous immiscer dans les décrets du ciel. Il est clair pour moi que le ciel, dans son impénétrable sagesse, a cru bon de déranger à dessein le ranch du défendeur. Nous ne sommes que des créatures, nous devons nous soumettre. Si le ciel a résolu de favoriser le défendeur Morgan de cette manière insigne et merveilleuse ; si le ciel, mécontent de la position du ranch de Morgan sur le flanc de la montagne, a résolu de le remettre dans une situation plus avantageuse pour son propriétaire, il nous sied mal, à nous, insectes, de contester la légalité de l’acte, ou de nous enquérir des raisons qui l’ont motivé. Non ! le ciel a créé les ranchs, et c’est la prérogative du ciel de les redistribuer, de les manipuler et de les déplacer à la ronde selon son bon plaisir. C’est à nous de nous soumettre sans murmure. Je vous avertis que ceci est un événement auquel la main sacrilège, le cerveau et la langue de l’homme ne doivent pas toucher. Messieurs, le verdict du Tribunal est que le plaignant Hyde a été dépouillé de son ranch par le doigt de Dieu ! Et cette décision est sans appel.

Buncumbe saisit sa cargaison de livres de droit et se précipita hors de la cour, frénétique d’indignation. Il proclama que Roop était un miraculeux imbécile, un idiot illuminé. En toute bonne foi, il revint le soir et reprocha à Roop son extravagante décision ; il le supplia de se promener de long en large et de réfléchir afin de savoir s’il ne pourrait pas imaginer quelque modification au verdict. Roop se mit en devoir de marcher. Il