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lisé que le général. Jamais de sa vie, disait-il, on n’avait entendu parler d’une outrecuidance pareille à celle de ce Morgan. Et il ajoutait que ce n’était pas la peine d’aller en justice : Morgan n’avait pas l’ombre d’un droit de rester où il était ; personne sur la vaste terre ne voudrait l’y maintenir, aucun avocat prendre sa cause, ni aucun juge l’écouter. Hyde répondit que voilà justement ou il se trompait : tout le monde en ville soutenait Morgan ; Hal Brayton, avocat très fort, avait pris en main sa cause ; les tribunaux étant en vacances, elle allait être jugée devant un arbitre ; l’ex-gouverneur Roop était déjà nommé pour cet emploi et tiendrait sa séance cette après midi à deux heures, dans une grande salle publique près de l’hôtel.

Le général fut stupéfait. Il avait déjà soupçonné auparavant les habitants du territoire d’être des imbéciles ; maintenant il en était sûr. « Mais rassurez-vous, disait-il, rassurez-vous, et recueillez les témoignages, car la victoire est aussi certaine que si le débat était déjà tranché. » Hyde essuya ses larmes et partit.

À deux heures de l’après-midi, le tribunal arbitral de Roop ouvrit ses portes et Roop apparut trônant au milieu de ses shériffs, des témoins et des spectateurs, le visage empreint d’une solennité si imposante que plusieurs de ses complices commencèrent à devenir inquiets et à craindre qu’il n’eût peut-être pas bien compris que tout cela n’était qu’une plaisanterie. Un calme surnaturel régnait, car au plus léger bruit le juge prononçait sévèrement : « L’auditoire à l’ordre ! » Et les shériffs le répétaient promptement ce cri. Voici que le général, les bras pleins de livres de droit, se fraya un chemin à travers la foule des spectateurs et, à ses oreilles, un ordre du juge résonna, première marque de respect envers la haute dignité de son poste qui l’eût encore salué :

— Place à l’attorney des Etats-Unis !

Les témoins comparurent, législateurs, hauts fonctionnaires, fermiers, mineurs, Indiens, Chinois, Nègres. Les trois quarts d’entre eux étaient cités par le défendeur Morgan ; mais, n’importe, leurs dépositions favorisaient invariablement le plaignant Hyde. Chaque nouveau témoin ne faisait qu’attester l’absurdité d’un homme qui se prétendait propriétaire de la terre d’un autre parce que sa ferme avait glissé par-dessus. Ensuite les avocats de Morgan prononcèrent leurs plaidoiries, qui parurent singulièrement faibles : elles n’apportaient aucun secours réel à la cause de Morgan. Alors le général se leva, la figure rayonnante, et fit un effort passionné : il martela la table, jongla avec ses bouquins de droit, il clama, il hurla, il rugit, il cita tout et