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Cette méthode est plutôt néfaste pour l’homme. On en a des preuves. Les lois naturelles, en effet, veulent être obéies : telle force, restée inactive, se transforme, cherche d’autres voies, frappe à droite, à gauche, s’adjoint à une autre et se fixe ailleurs, dans l’individu même qui la délaisse, prête à sévir, à faire des détraqués, à engendrer des monstres. La loi d’amour se venge. Peut-être est-ce là ce que les Grecs avaient symbolisé dans le mythe de l’indifférent Narcisse. Quelques chastes, il faut l’avouer, ont pu acquérir une singulière souplesse d’esprit et devenir de grands remueurs de foules par l’exaspération de leurs facultés volitives : mais quand on songe que les aptitudes réservées à de tels hommes détruisent en eux tout équilibre et dégénèrent en multiples folies, en délires autoritaires, en ambitions forcenées, que faut-il penser, sinon qu’il en est d’autres, qui pour avoir mené une vie vie normale, n’en ont pas été moins grands ?

Oui. je crois que l’homme idéal est plus près de la nature, et je verrais plutôt, dans les conclusions du grand philosophe russe, un paradoxe, celui qu’hélas ! nous inspire assez généralement, et comme malgré nous, une carrière finissante.

Du reste, en ces matières, pourquoi se proposer un but ? Peut-être est-il inutile de tant prendre à cœur des questions de tempérament ; au fond, que nous ne sommes pas à même de résoudre ; car, avec ce qui nous est laissé de libre arbitre, nous ne pouvons guère nous soustraire à ce que notre nature a résolu d’exiger de nous, sans d’ailleurs nous demander notre avis.


De Mme Lucie Delarue-Mardrus :

Nous avouons ne pas comprendre le « haut intérêt » qu’il y a à recueillir les « idées autorisées » concernant le dernier ultimatum de Tolsloy.

Nous pensons qu’un ultimatum ne se discute pas. Il faut ou le repousser, ou l’accepter. Dans ce dernier cas, il n’y a plus qu’à massacrer, séance tenante, toutes les femmes, puisqu’elles sont la cause de la " laideur et de l’insanité de la vie », à moins qu’on ne châtre tous les hommes pour les rendre ainsi plus « semblables aux anges » !

Ce sera, de la sorte, la fin rêvée de l’humanité, si toutefois l’éternelle Rhéa ne trouve moyen de trahir Tolstoy, en mettant encore deux jumeaux au monde.


De M. Georges Eekhoud, Bruxelles.

Il y a longtemps que le néo-christianisme du grand artiste qui écrivit la Guerre et la Paix et Anna Karénine, deux chefs-d’œuvre, m’est suspect et même odieux. Après avoir blasphémé l’art, voici qu’il blasphème la femme et même la maternité, l’enfant, la vie.

C’était dans l’ordre, hélas !…

Loin de condamner les joies charnelles, je souhaite qu’on rende à la chair, à la beauté physique, le culte que lui rendaient les Grecs et les Renaissants. Je suis partisan de l’amour libre et je légitime toutes les voluptés qui ne portent pas atteinte à la liberté d’autrui ou qui n’im-