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hauteur — de 1 mètre à 1 m. 30. Ils étaient dispersés à 2 m. 50 de distance sur toute la surface du vaste désert ; chacun d’eux n’était plus à présent qu’un monceau de neige ; en quelque direction qu’on avançât, ainsi que dans un verger bien tracé, on se trouvait toujours à parcourir une avenue distinctement définie, avec une rangée de ces monticules de neige de chaque côté, une avenue de la largeur ordinaire d’une route, libre et plan au centre et se relevant doucement sur les bords en raison des monticules. Mais nous n’avions pas pensé à cela. Imaginez-vous alors quel frisson glacial nous étreignit, lorsque, bien avant dans la nuit, l’idée nous vint que les derniers vestiges les plus légers des ornières étant depuis longtemps effacés, nous nous égarions peut-être le long d’une simple avenue de buissons de sauge, à des kilomètres de la route, et en nous en éloignant toujours. Un glaçon qu’on vous fourre dans le cou est du bien-être placide à côté de cela. D’un seul coup, le sang qui dormait dans nos veines depuis une heure sauta et courut en torrent et l’activité sommeillant dans nos esprits et nos corps se réveilla non moins soudaine. En même temps que nous redevenions dispos et alertes, nous tremblions et nous frissonnions de consternation ; on s’arrêta et on mit pied à terre sur-le-champ, on s’accroupit et on scruta anxieusement le sol de la route. Sans profit, bien entendu ; car si on pouvait discerner une légère dépression avec des yeux postés à quatre ou cinq pieds au-dessus d’elle, on ne le pouvait certainement pas en y collant le nez.

CHAPITRE XXXII
Situation désespérée. — Tentatives pour faire du feu. — Nos chevaux nous abandonnent. — Nous trouvons des allumettes. — Première, deuxième, troisième et dernière. — Pas de feu. — La mort devient inévitable. — Nous nous lamentons sur nos vies perverses. — Renoncement au vice. — Nous nous pardonnons mutuellement. — Affectueux adieu suprême. — Le sommeil de l’oubli.

Nous avions l’air d’être sur une route, mais cela ne prouvait rien. Nous en fîmes l’épreuve en nous dirigeant en diverses directions. Les monticules de neige réguliers et les avenues régulières qui les séparaient, convainquirent chacun de nous que c’était bien lui qui avait trouvé le vrai chemin et que les autres n’en avaient trouvé que de faux. Evidemment notre situation