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retirait victorieuse, un rugissement d’approbation ébranla la maison, et chacun commanda des verres pour la foule, en une seule et même haleine.

La leçon était entièrement suffisante. Le règne de la terreur était terminé et la domination d’Arkansas abattue pour de bon. Durant le reste de notre saison de captivité insulaire, il y avait un homme qui, assis à part dans un état d’humiliation permanente, ne se mêlait à aucune querelle, n’articulait aucune fanfaronnade et ne relevait aucune des insultes que la bande, naguère servile, lui adressait maintenant constamment, et cet homme était Arkansas.

Vers le sixième ou cinquième matin, les eaux s’étaient retirées des terres, mais le courant dans le vieux lit de la rivière était toujours profond et rapide : il n’y avait pas possibilité de le traverser. Le huitième, il était encore trop gros pour qu’on le passât avec une entière sécurité ; mais la vie à l’auberge était devenue presque insupportable en raison de la saleté, de l’ivrognerie, des querelles, et nous fîmes tout de même un effort pour partir. Au milieu d’une forte tempête de neige nous nous embarquâmes dans une pirogue, emportant nos selles à bord et remorquant nos chevaux à l’arrière par leurs longes. Ollendorff, le Prussien, était en avant avec une pagaie, Ballou pagayait au milieu, et moi, j’étais assis à l’arrière, tenant les longes. Quand les chevaux perdirent pied et commencèrent à nager, Ollendorff prit peur, car il y avait grand danger que les chevaux ne nous fissent dévier de notre direction et il était évident que si nous manquions l’atterrissage à un certain point, le courant nous emporterait et nous jetterait infailliblement dans le grand bras de la Carson.

Une telle catastrophe serait pour nous la mort, en toute probabilité, soit que nous fussions entraînés au large dans la « Perte », soit que nous chavirions et que nous nous noyions. Nous recommandâmes à Ollendorff de garder son sang froid et de se comporter avec prudence, mais ce fut inutile ; dès que notre proue toucha la rive, il fit un bond et la pirogue se retourna sens dessus dans dix pieds d’eau. Ollendorff empoigna des broussailles et se hissa à terre, mais Ballou et moi nous dûmes tirer notre coupe, embarrassés dans nos pardessus. Nous nous cramponnâmes à la pirogue et bien que nous eussions été entraînés presque jusqu’à la Carson, nous trouvâmes le moyen de pousser le bateau à terre et d’effectuer notre atterrissage sains et sauf. Nous étions gelés et trempés, mais sauvés. Nous attachâmes les animaux aux buissons de sauge ou ils eurent à rester vingt-quatre