Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la matière ne peut contenir les éléments de la pensée. Nous ne savons pas ce que c’est que la matière ; pour toute la matière qui n’est pas nous, nous ne pouvons ni affirmer ni nier qu’elle soit consciente, puisque nous ne sommes pas elle ; quant à la matière qui nous constitue, la seule dont nous puissions remarquer la conscience, si elle en a une, nous constatons précisément qu’elle est consciente ! Les vitalistes disent qu’elle ne l’est pas par elle-même, mais ils l’affirment sans le démontrer et, jusqu’à nouvel ordre, nous pouvons dire que la seule observation intime qui nous soit permise sur de la matière n’est pas de nature à prouver que la conclusion des déterministes soit absurde.

Continuons donc à nous placer au point de vue déterministe. L’homme est une agglomération de matière en mouvement ; ses états de conscience, ce sont les synthèses successives des consciences de ses mouvements élémentaires. Or, c’est par ses états de conscience successifs que l’homme a connaissance, tant de ce qui se passe au dedans de lui que de ce qui se passe à l’extérieur. Il est donc bien évident que pour qu’un fait extérieur puisse être connu de l’homme, il faut que ce fait retentisse d’une manière quelconque sur les mouvements matériels de son corps. La physique nous enseigne que beaucoup de mouvements vibratoires peuvent arriver jusqu’à l’homme, soit par l’intermédiaire des corps pondérables (son), soit par celui de l’éther (lumière), et que l’homme possède précisément des parties spéciales, dites organes des sens, dont la matière est impressionnée par ces mouvements vibratoires. Mais rien n’empêche qu’il y ait dans le monde bien des mouvements incapables d’agir directement sur les organes des sens de l’homme, incapables aussi d’influencer d’autres mouvements qui agissent sur l’homme. L’existence de ces mouvements ne peut, en aucune manière, arriver à la connaissance de l’homme. S’ils existent, ils sont inconnaissables à l’homme.

Supposons par exemple, mais uniquement pour fixer les idées, que les phénomènes vitaux soient des mouvements d’atomes. Nous ne savons pas ce que c’est qu’un atome ; cela est très petit par rapport à nous (mais nous n’avons aucunement le droit de supposer que cela ressemble à un petit grain de plomb ou à tout autre objet connu de nous). En tout cas, pour petit que soit l’atome par rapport à nous, il n’en a pas moins des dimensions finies et si (ce que nous ne pouvons savoir) il existe des êtres doués de conscience aussi petits par rapport à l’atome que nous le sommes par rapport à la terre, ils constateront peut-être, par leur chimie, que l’atome se décompose en atomules comme la terre se décompose en atomes. Et le mouvement de ces atomules sera sans action sensible sur celui de l’atome, de même que nos chansons ou nos illuminations sont sans action sensible sur la gravitation de la terre. Le mouvement de ces atomules nous sera donc inconnaissable (si nous avons supposé que les phénomènes vitaux sont des mouvements d’atomes), et c’est pour cela que nous ne pouvons songer à pénétrer jusqu’au fond la connaissance de la structure de la matière. De même,