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ment chez ces mécanismes simples. Ils concluent par analogie, et de proche à proche, aux animaux de plus en plus compliqués, jusqu’à l’homme. Ils ne peuvent pas encore donner du déterminisme humain une preuve directe, sans quoi, évidemment, tout le monde serait d’accord, mais ils décomposent le fonctionnement de l’homme en éléments déterminés et ils conçoivent que la synthèse de ces éléments soit également déterminée. Ils n’acceptent donc pas, jusqu’à nouvel ordre, les principes immatériels que défendent leurs antagonistes plus respectueux de la tradition. Ils se déclarent d’ailleurs tout prêts à abandonner le déterminisme dès qu’un fait, scientifiquement contrôlé, aura mis en évidence la liberté humaine. Mais, jusqu’à présent, un tel fait n’existe pas ; il faut être convaincu d’avance pour voir un miracle.

Les vitalistes s’étonnent que des hommes de science aient l’entendement assez obtus pour ne pas se rendre à l’évidence de leurs démonstrations ; ils parlent d’entêtement, d’aveuglement volontaire ! Ils feraient mieux de se dire que leurs démonstrations ne sont pas assez sûres ; le jour où elles auront pris le caractère d’une vérité impersonnelle, tout le monde sera convaincu ; personne ne doute du théorème de Descartes. Or, jusqu’à présent, les vitalistes nous ont donné des opinions et non des arguments.

L’homme est donc, dans la matière en mouvement, un groupement momentané, ou plutôt une succession de groupements momentanés d’éléments matériels. Personne ne le nie, mais les déterministes croient que nous sommes composés de matière seulement, les vitalistes pensent qu’il y a en outre en nous un principe intérieur d’action (anima, animus, anémos). Le jour où ils auront démontré que l’homme fait exception à la loi d’inertie (et, je le répète, cela est du domaine expérimental), tout le monde croira à ce principe immatériel dont la tradition enseigne l’existence. Jusque-là les déterministes auront le droit de conserver leur manière de voir. Je voudrais montrer maintenant que, quoi qu’en disent les vitalistes, l’opinion déterministe n’est pas en contradiction avec le sens intime et ne blesse pas la modestie que doit nous inspirer la limitation évidente des connaissances humaines. Plaçons-nous donc franchement au point de vue déterministe et voyons si nous serons conduits à des absurdités.

L’observation des êtres vivants conduit à considérer la manifestation essentielle de la vie, l’assimilation, comme faisant partie du groupe des phénomènes matériels que l’on qualifie de chimiques, par opposition à ceux qui sont plus spécialement appelés physiques. Si l’on admet la théorie atomique, il est facile de comprendre en quoi la physique diffère de la chimie. La seconde de ces sciences s’occupe des mouvements matériels qui produisent ou détruisent des agglomérations définies d’atomes, des molécules composées ; la première traite au contraire des mouvements qui n’entraînent ni production ni destruction des molécules. La vie, l’assimilation, qui est une fabrication continue de substance vivante, est un phénomène chimique ; mais il est bien évident qu’aucun phéno-