faire le contraire, car les citations de M. Grasset résument des opinions et non des arguments. L’ensemble de ces chapitres peut d’ailleurs se réduire à deux affirmations : 1o l’homme est libre ; 2o il y a entre l’homme et les animaux des différences essentielles. Les biologistes répondront à cela que les différences entre l’homme et les animaux ne sont pas essentielles, et tiennent à l’inégalité du développement cérébral. Mais qu’ont de commun le développement matériel du cerveau et ce quelque chose de spécial qui dirige notre activité ? « Seuls des hommes incompétents, dit M. Fouillée, peuvent croire que des atomes bruts, disposés d’une certaine manière, comme les pièces d’un moulin, arriveront à penser. » Donc, (c’est le mode de raisonnement de M. Grasset) il y a dans l’homme autre chose que de la matière. Le professeur de Montpellier ne s’étend pas sur ce sujet, mais il importe que nous nous y arrêtions quelque temps, laissant désormais de côté les Limites de la Biologie. C’est en effet sur ces mots matière et pensée que l’on discute à perte de vue ; il n’est peut-être pas inutile de se demander si l’on sait bien ce qu’on dit quand on les emploie. Les sciences expérimentales ont fait beaucoup de progrès depuis que ces mots ont été employés pour la première fois et j’ai bien peur que l’on continue volontairement à donner au mot matière une signification identique à celle qu’elle avait du temps d’Aristote.
Votre système, dit-on aux matérialistes[1], vous contraint d’affirmer que la matière doit produire la pensée, l’observation scientifique nous contraint d’affirmer que la matière est incapable de produire la pensée. Nous savons en effet ce que c’est que de la matière et nous savons aussi ce que c’est que de la pensée ; l’observation externe nous renseigne sur le premier point et l’observation scientifique sur le second. La matière nous apparaît étendue, pondérable, divisible ; on peut la mesurer et elle est localisée dans le temps et dans l’espace. La pensée n’est ni pondérable, ni étendue, ni divisible ; elle exclut le mouvement et la mesure. Quelles seraient les dimensions d’une pensée, la force mécanique d’une volition, le côté droit d’un désir ? Il serait aisé de développer dans le détail ces caractères absolument irréductibles de la pensée et de la matière tels que l’observation nous les fournit. Cela a été fait cent fois. Je me contenterai de conclure : entre la pensée et la matière la différence ne saurait être plus grande ; elle se présente sous forme de contradiction. Voilà ce que l’observation nous révèle. Vous dites, au nom d’une thèse que gratuitement vous supposez démontrée : la matière doit contenir les éléments de la pensée. Au nom de l’observation et de la raison, je vous réponds : la matière ne peut contenir ce qui est la négation d’elle-même. Or la pensée nous apparaît comme la négation de la matière ; donc la matière ne peut contenir les éléments de la pensée.
Nous savons, dit l’auteur, ce que c’est que de la matière. Hélas ! je crains bien que nous ne le sachions jamais ! Reprenant la citation précédente de Barthez, « les explications ne sont que des comparaisons »,
- ↑ Cette citation est empruntée à un article qui est encore à l’impression et dont le manuscrit m’a été obligeamment communiqué par l’auteur, M. Chanvillard.