moins et ne sont pas pour cela inconnaissables (p. 7)… Il n’y a pas de science unique qui contienne toutes les autres, pas plus la biologie que les autres (p. 8)… La biologie a des limites ; il y a des choses qui ne sont pas de sa compétence, qu’elle ignorera éternellement parce qu’elles sont autres ; ces choses sont cependant connaissables pour l’homme par d’autres méthodes, d’autres voies intellectuelles ; elles sont l’objet d’autres sciences (p. 10).
Il y a autre chose ! voilà ce que veut démontrer M. Grasset.
La biologie est, dit-il en commençant, la « science de la vie et des êtres vivants. » Il est donc bien nécessaire qu’il y ait, en dehors d’elle, la science des êtres non vivants. Cela saute aux yeux. Si un monsieur fait une collection de timbres-poste, il fait autre chose que s’il faisait une collection de cartes postales. Aussi n’est-ce pas cette vérité banale qu’a voulu prouver M. Grasset, quoi qu’on puisse croire le contraire quand il dit avoir généralisé (p. 169) la pensée suivante d’Auguste Comte : « La physique doit se défendre de l’usurpation des mathématiques ; la chimie, de celle de la physique ; enfin la sociologie, de celle de la biologie. » C’est-à-dire qu’il y a dans la science de petits cantons séparés qui doivent avoir leurs moyens d’existence propres et ne rien emprunter. Peu de gens accepteront cette manière de voir.
M. Grasset a surtout voulu répondre à ceux qui croient qu’on peut expliquer les phénomènes vitaux par ceux de la physique et de la chimie ; il a voulu montrer aussi, je pense, que la biologie, « science de la vie et des êtres vivants », ne comprend pas l’étude des moyens par lesquels les êtres vivants arrivent à la connaissance des choses de l’univers. « Il y a, dit-il, des choses qu’elle ignorera éternellement parce qu’elles sont autres. » Et je me demande comment il se fait qu’un mode de connaissance indissolublement lié à l’état de vie de l’individu qui s’en sert (car on n’a pas le droit, jusqu’à nouvel ordre, de croire que les métaphysiciens et les théologiens seraient capables, s’ils étaient morts, de continuer à faire de la métaphysique et de la théologie), soit en dehors du cadre de la « science de la vie et des êtres vivants. »
À ce point de vue, la biologie aurait droit de contrôle sur toutes les sciences, puisqu’il n’y a pas de science pour un être qui ne vit pas, et que, par conséquent, le « mode de connaissance » appliqué à l’étude d’une science quelconque dépend forcément de la nature de celui qui étudie cette science. Quand nous attaquons un problème, nous n’avons pas seulement à rechercher la solution du problème, si elle est à notre portée ; nous avons aussi à nous demander comment il se fait que ce problème se soit posé en nous, et je ne vois pas que personne puisse nier que notre « nature » y soit pour quelque chose.
La biologie ne se ramène pas à de la physique et de la chimie : « Certes, dit M. Grasset, dans l’être vivant, la chaleur, le son, la lumière, l’électricité restent soumis à leurs lois propres, comme ces mêmes mouvements vibratoires dans le monde inanimé. Mais l’être vivant, par essence et par définition, a aussi ses lois propres, objet d’une science à part. » (p. ii).