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le témoin qui a juré que j’avais aidé à arrêter le courrier de Californie — ce qui est du tâtillonnage impertinent de sa part, car je ne le connais même pas.

Là-dessus il poussa son cheval et commença à faire des reproches à l’étranger avec un pistolet à six coups, et l’étranger commença à lui présenter ses explications avec un autre revolver. Quand les pistolets furent vides, l’étranger reprit son occupation (il raccommodait une mèche de fouet) et M. Harris nous dépassa avec un salut poli, retournant chez lui avec une balle dans un poumon et plusieurs dans les reins ; et de chacune d’elles sortait une petite rigole de sang qui ruisselait le long des flancs du cheval et lui donnait un aspect tout à fait pittoresque. Jamais je n’ai vu Harris tirer sur quelqu’un depuis, sans me rappeler mon premier jour à Carson.

Ce fut tout ce que nous vîmes ce jour-là, car il était deux heures à ce moment et, selon la coutume, le « zéphyr de Washoe » quotidien arriva ; un amas volant de poussière, environ de la dimension des États-Unis dressés sur champ, l’accompagnait et la capitale du Territoire de Nevada disparut au regard. Cependant il restait à voir certains tableaux qui n’étaient pas entièrement dénués d’intérêt pour de nouveaux venus ; car ce vaste nuage de poussière était abondamment farci d’objets étrangers à l’atmosphère supérieure — des objets animés et inanimés, qui se précipitaient de-ci, de-là, allant et venant, paraissant et disparaissant parmi les tourbillons houleux de poussière, — les chapeaux, la volaille et les ombrelles naviguant au plus haut du ciel ; les couvertures, les enseignes de zinc, les touffes de sauge et les voliges une idée plus bas ; les pelles et les seaux à charbon à l’étage en-dessous ; les portes vitrées, les chats et les petits enfants au suivant ; les chantiers de bois en dérive, les cabriolets légers et les brouettes au suivant ; et tout en bas à dix ou douze mètres de terre un ouragan échevelé de toitures émigrantes et de terrains vagues.

C’était déjà quelque chose que d’en voir autant. J’en aurais vu plus, si j’avais pu empêcher la poussière de m’entrer dans les yeux.

Mais, sérieusement, un vent du Washoe n’est pas du tout une plaisanterie. Il renverse des constructions légères, enlève à l’occasion des toits de bois, recroqueville ceux de zinc comme des rouleaux de musique, et de temps en temps chavire une malle-poste et verse les voyageurs ; la tradition dit qu’il n’y a tant de gens chauves ici, que parce que le vent leur emporte