vâmes à « Honey Lake Smith », espèce d’auberge isolée au bord de la rivière de Carson. C’était une maison en rondins à deux étages, située sur une modeste éminence au milieu du vaste bassin ou désert, à travers lequel la chétive Carson serpente mélancoliquement. À côté de la maison, se trouvaient les écuries de la poste transcontinentale, bâties en briques séchées au soleil. Il n’y avait pas d’autres constructions à plusieurs lieues à la ronde. Vers le coucher du soleil, une vingtaine de chariots de foin arrivèrent et campèrent autour de la maison ; tous les charretiers entrèrent pour souper, compagnie très, très grossière. Il y avait aussi un ou deux cochers de la poste et une demi-douzaine de vagabonds et de piétons ; par conséquent la maison était bien remplie.
Nous sortîmes après souper et nous visitâmes un petit camp indien du voisinage. Les Indiens, très affairés pour une raison quelconque, pliaient bagages et se sauvaient aussi vite qu’ils pouvaient. Dans leur anglais rudimentaire, ils nous dirent : « T’à l’heure, tas d’eau ! » et au moyen de gestes ils nous firent comprendre qu’à leur avis une inondation arrivait. Le temps était parfaitement clair et nous n’étions pas dans la saison des pluies. Il y avait peut-être 30 centimètres, peut-être 60 dans la rivière insignifiante ; le courant n’était pas plus large qu’une ruelle de village et ses bords dépassaient à peine la hauteur de la tête. Donc, d’où pouvait venir l’inondation ? Nous discutâmes la question un moment, puis nous conclûmes que c’était une ruse et que les Indiens avaient quelque meilleure raison de se sauver en hâte que la crainte d’une inondation par une sécheresse si extrême.
À sept heures du soir nous allâmes nous coucher au second, tout habillés, comme d’habitude, et tous les trois dans le même lit, parce que toute la place disponible sur les parquets et les chaises était occupée et que même ainsi il y avait à peine de quoi loger tous les hôtes de l’auberge. Une heure plus tard nous fûmes réveillés par un grand tumulte et, sautant du lit, nous nous faufilâmes adroitement, entre les rangs des charretiers ronflants, jusqu’aux fenêtres de la façade de la longue pièce. Un coup d’œil nous révéla un spectacle étrange, au clair de la lune. La tortueuse Carson était pleine jusqu’au bord, ses eaux furieuses écumaient de la manière la plus sauvage, se précipitant autour des tournants aigus avec une vitesse folle et entraînant à sa surface un chaos de troncs d’arbres, de broussailles et de débris de toute sorte. Une dépression dans un de ses lits d’autrefois se remplissait déjà et à une ou deux places l’eau