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discerner quelques légères et fines paillettes jaunes, et nous jugeâmes qu’il en faudrait peut-être bien une couple de tonnes pour faire un dollar en or. Nous n’étions pas dans la jubilation, mais M. Ballou dit qu’il y avait de plus mauvais filons que ça dans le monde. Il mit de côté ce qu’il appelait le morceau « le plus riche » du rocher, afin d’en déterminer la valeur par le procédé nommé l’essai au feu. Puis nous donnâmes à la mine le nom de Monarque des Montagnes (la modestie dans la nomenclature n’était pas le trait dominant chez les mineurs) et M. Ballou grossoya et afficha l’Avis suivant en en gardant copie pour le faire enregistrer au bureau du district :

AVIS

Nous soussignés réclamons trois concessions de trois cents pieds chacune (et une pour la découverte) sur ce filon ou ces filons de quartz argentifère, s’étendant au nord et au sud de cet écriteau, avec toutes ses dépressions, pointes, angulosités, variations et sinuosités, ainsi que cinquante pieds de terrain de chaque côté pour l’exploiter.

Nous y apposâmes nos signatures et nous essayâmes de nous figurer que notre fortune était faite. Mais quand nous en causâmes au long avec. M. Ballou nous devînmes abattus et perplexes. Il nous expliqua que cet affleurement de quartz n’était pas toute notre mine, mais que le mur ou le banc de rochers dénommés le Monarque des Montagnes se prolongeait des centaines et des centaines de pieds, sous terre ; il le compara à un rebord de trottoir et dit qu’il gardait toujours la même épaisseur — mettons vingt pieds — dans les profondeurs du sol et restait parfaitement distinct de son revêtement de rochers ; qu’il conservait toujours son caractère propre à quelque profondeur qu’il s’enfonçât et à quelque distance qu’il s’étendît à travers monts et vallées. Il nous dit que, pour ce que nous en savions, il pouvait avoir deux kilomètres de profondeur et quinze de long ; que partout où nous l’entamerions, à ciel ouvert ou en souterrain, nous y trouverions de l’or et de l’argent, mais pas du tout dans le roc plus commun qui l’entourait.

Il ajouta qu’au sein des grandes profondeurs se trouvait la richesse du filon et que plus il s’enfonçait, plus il devenait riche. Par conséquent nous devions soit forer un puits jusqu’à ce qui nous arrivions à la partir riche — mettons une centaine de pieds environ, — soit descendre dans la vallée et creuser un long tunnel dans le flanc de la montagne pour recouper le filon bien loin sous terre. Accomplir l’un ou l’autre était également un travail de plusieurs mois, car nous ne pouvions faire sauter et creuser que quelques pieds dans une journée — cinq ou six.