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l’Autriche depuis que la Diète de Galicie a pris ouvertement parti pour les Polonais de Prusse. Elle a demandé et obtenu de la chancellerie de Vienne des explications, mais le souvenir de l’offense ressentie n’en subsiste pas moins. L’Autriche-Hongrie et l’Italie, en dehors des griefs lointains et durables de Trente et Trieste, trouvent dans leur rivalité en Albanie une cause nouvelle de dissentiment. Et par-dessus tout, la prétention des agrariens de Prusse à instaurer autour de l’empire germanique une muraille de Chine, une douane prohibitionniste, menace les intérêts les plus immédiats des puissances alliées. Le vote du tarif allemand aboutirait à la ruine partielle des Italiens, des Cisleithans et Transleithans. Quoi qu’en dise M. de Bülow, avec un optimisme affecté, les accords diplomatiques et militaires vont rarement de compagnie avec les guerres de tarifs.

En sens inverse, c’est-à-dire en faveur de la prolongation de la Triplice, on fait valoir les arguments que voici.

Une combinaison n’expire pas parce qu’elle a duré ; au contraire, les prorogations antérieures justifient celles qui suivent. Et si la Triple Alliance n’a pas réussi à enrayer le mouvement démocratique, il n’est pas prouvé qu’elle ne l’ait pas ralenti, et que, elle disparue, il n’eût pas déjà emporté un ou plusieurs trônes.

Les contre-assurances libellées à Vienne et à Rome n’ont pu être négociées que parce que l’Autriche et l’Italie tiraient force et autorité de leur amitié avec l’Allemagne. Ni la Russie n’eût consenti à une limitation de sa propagande balkanique, ni la France n’eût signé un protocole de désintéressement en Tripolitaine, si elles n’eussent rencontré en face d’elles un bloc de puissances. Et ainsi la constitution de l’Europe actuelle se ramène tout entière à l’initiative prise par le prince de Bismarck en 1879 et élargie en 1882.

Quant aux affaires de Pologne el d’Albanie, elles n’ont pas plus de gravité que tel autre différend passé et bien vite oublié. Il n’est pas d’exemple qu’une alliance ait éliminé absolument tout conflit : la France et la Russie n’ont-elles pas des intérêts divergents et même opposés en Syrie et en Extrême-Orient ? De même il ne faut pas exagérer l’affaire du tarif douanier, et il est presque sûr qu’à la dernière heure une transaction sera trouvée par M. de Bülow entre les réclamations agrariennes et les protestations de l’agriculture italienne et hongroise.

Tel est I’impartial tableau des arguments présentés pour et contre le maintien de la Triplice. Quoique certains journaux allemands aient déjà signifié le renouvellement anticipé du pacte, nous ne nous prononcerons pas.

Après tout, la question a-t-elle la même importance que jadis ? M. de Bülow affirmait, il y a trois semaines, au Reichstag que la Triple Alliance était devenue essentiellement pacifique, qu’elle ne menaçait personne, qu’elle n’abritait aucune convoitise territoriale. C’était l’aveu d’un revirement profond et que les circonstances mêmes, l’évolution interne et externe de l’Europe, ont imposé. Autant le pacte de 1882 était