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arrivèrent par bandes et bientôt l’élément américain se trouva en majorité. On répudia la suzeraineté de Brigham Young et de l’Utah, et les habitants établirent un gouvernement territorial provisoire dans le « Washoe ». Le gouverneur Roop en fut le premier et l’unique magistrat. En temps voulu, le Congrès passa une loi pour organiser le « Territoire de Nevada » et le président Lincoln dépêcha le gouverneur Nye pour y remplacer Roop.

À ce moment, la population du Territoire comptait de 12 à 15 000 âmes et augmentait rapidement. Des mines d’argent se développaient avec ardeur, des usines à minerai se fondaient. Le commerce dans toutes ses branches était actif et prospère et le devenait encore plus tous les jours.

Les habitants, bien qu’heureux d’avoir un gouvernement légalement constitué, n’étaient pas particulièrement enchantés de voir l’autorité aux mains d’étrangers venus d’États lointains, sentiment assez naturel de leur part. Ils estimaient qu’on aurait dû choisir les fonctionnaires parmi eux, parmi les citoyens notables qui s’étaient acquis des droits à une telle distinction, qui auraient eu la sympathie de la populace et eussent été intimement familiarisés avec les besoins du Territoire. Ils avaient raison dans leur manière de voir, sans aucun doute. Les nouveaux-fonctionnaires étaient des « émigrants », ce qui n’était un titre à l’affection pas plus qu’à l’admiration de personne.

Le nouveau gouvernement fut accueilli avec une froideur considérable. Il était un intrus non seulement étranger, mais pauvre. Il ne valait pas d’être pillé, si ce n’est par le plus menu de tous les menus fretins des quémandeurs d’emplois et leurs pareils. Chacun savait que le Congrès n’avait attribué que vingt mille dollars en papier, par an, à son entretien, — à peu près l’argent nécessaire pour faire rouler une usine à quartz pendant un mois. Et chacun savait aussi que les arrérages de la première année étaient encore à Washington et que, pour mettre la main dessus, il faudrait une procédure longue et compliquée. La Ville de Carson était trop prudente et trop sage pour ouvrir son crédit à ce moutard d’importation avec la moindre hâte indécente.

Il y a quelque chose de solennellement comique dans les efforts d’un gouvernement territorial nouveau-né pour se lancer dans le monde. Le nôtre eut là de cruels moments. La loi organique et les instructions du ministère de l’intérieur ordonnaient qu’une législature fût élue à telle époque et ses séances inaugurées à telle date. C’était facile de se procurer des législa-