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d’amour de son mari, ni les effets tangibles de ce sentiment : elle énuméra ses rejetons, ils étaient cinq dont trois mariés, ce qui multipliait les produits et constituait une honorable famille. Elle parlait, parlait toujours, immobile, saccadée, sans vibrations, avec un accent mécanique. En face Mme Hauser, impassible, semblait ailleurs, quand le pasteur survint. Alors, comme ébranlée par une commotion de folie, sous l’empire d’une irrésistible émotion, sans proférer rien, Mme Hauser s’en alla.

On ne la revit jamais.

Quand on parlait d’elle, le pasteur disait :

— Tout de même, cette bonne Mme Hauser, je l’ai bien connue autrefois, mais elle n’était pas si fière !

D’UNE SERVANTE D’AUBERGE


Les nappes crues, les bouteilles blondes, la tonnelle à travers laquelle la Seine miroite, les robes fraîches, les rires rauques, et la friture !

Canotiers et batistes ! des touffes de coquelicots et de bleuets accrochées entre les seins des jeunes femmes, de la plaisanterie équivoque qui rôde dans l’air, stimulée par l’odeur verte des champs et par la légère ivresse du vin gris, au bruit des verres trinqués, des baisers furtifs, des petits cris chatouillés et pudiques. Le soleil rudoie la terre, les ombres se coagulent. C’est dimanche, l’été, Paris est à la campagne.

Des couples quittent la capitale, au matin, quand les grandes routes poussiéreuses sont déjà souillées par les sillons des roues stridentes et des pneus mous. Les femmes se décollètent, mettent de la langueur dans leurs regards. On monte dans le train, on s’empile, les linons geignent : les petits jeunes gens imberbes et vindicatifs, à chemises roses et à gants paille, se querellent à propos des glaces des portières, insultent la compagnie, irritent leur maîtresse. Enfin le trajet s’effectue : les hautes maisons noires s’abaissent, les faubourgs s’emmêlent de verdures, les affiches se multiplient criardes, voyantes, tandis que les cheminées d’usines surgissent au milieu des plaines maraîchères, raides sur l’horizon, fumeuses, sinistres.

Les humbles savent le petit coin ombragé, sur la berge, où l’on mange le gougeon que l’on peut pêcher soi-même.

Les grisettes, si elles ont des dents limpides, rient sans cesse. Elles proposent les apéritifs sentimentaux des promenades avant midi, à travers champs, dans les sentiers charbonneux et pleins de tessons de bouteilles. Mais qu’importe ! ça sent l’herbe, l’air de juillet caresse de sa torpeur ; des dilatations musculaires, des épanouissements sensuels font trouver la vie bonne à leurs âmes falottes. Certes, celles-là, les modestes, les travailleuses, les mièvres petites amoureuses aux index piqués et aux tailles fines sont contentes le dimanche ! Elles s’amusent, avec la grâce de leurs illusions fanées, des mélancoliques parties de canotage sur l’eau qui est si jolie, si attendrissante, le cœur embué d’une amourette passagère… Mais les autres, les arrivistes, pâles, les yeux désor-