Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/189

Cette page n’a pas encore été corrigée

La dame disait :

— C’est peut-être un parti pour la petite ?!

— Tue-la tout de suite ! Quel crime a-t-elle commis ?! disait le mari.

La dame :

— Kœnigsberg... Il vous fait penser comme la femme du marin : « Il y a encore d’autres mondes... » Il aime presque cette guenon Maïa, il parle toujours d’elle ; ce doit être un noble animal, son baiser a été pour lui « la mystérieuse amitié du monde. » Il dit : « En voilà une qui vient des Philippines, qui m’embrasse la main... ! »

Le mari se replia sur lui-même, comme un ouvrier qui traîne de la houille à mille pieds sous terre.

— C’est un esprit malsain, dit-il, exagéré ; il tournera mal...

Les fleurs rose-clair inconnues embaumaient...

La dame contemplait les collines...


Soir d’été. L’immense prairie, au milieu de la forêt, était comme un velours gris-vert dans lequel, par endroits, la luzerne mettait des tons lilas changeant. L’écorce des pins devenait d’un blanc brunâtre ; puis elle devint grise, puis s’éteignit. Le roi des cailles faisait : « wrà wrà wrà wrà... ! » Il exécutait son morceau de musique avec une finesse extraordinaire, diligence et précision. Il venait d’Afrique, se tenait au milieu de la clairière et chantait. Saturne luisait au-dessus des pins.

Deux hommes et une jeune fille étaient là, debout, regardant le monde doux, silencieux.

— Ce matin, la police à cheval nous a chargés..., dit la jeune fille, qui était la « citoyenne Ch... »

— Et j’ai lu sous la véranda la Formation de l’ordre des Templiers... dit le jeune savant en souriant sur lui-même.

— Et j’ai lancé une bottine à Lisabeta..., dit Kœnigsberg. Un silence.

Les hommes et la jeune fille étaient là, debout, regardant le monde doux, silencieux.

— Pourquoi avez-vous fait cela ? demanda la citoyenne Charlotte à Kœnigsberg.

— Tiens, répondit-il, est-ce qu’elle est gracieuse ?! Charlotte pâlit, sentant le destin de la femme.

Le vent souffla. Dans le lointain, les collines disaient : « Derrière nous cela va encore plus loin... » Les pins envoyaient l’essence des conifères ; de la prairie s’élevait une haleine de thym.

— Nous devrions représenter la beauté des mondes, dit Charlotte ; ce qu’est tout cela, nous autres femmes devrions l’être : la paix du soir faite homme ! Voyons, dites, est-ce là une phrase ?!

Les hommes se taisaient.

Le savant récita :

— La nuit est déjà descendue... L’une près de l’autre se rangent saintement les étoiles...