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du voyageur sur le sommet de la montagne que baigne le soleil... on ne peut aller plus haut ! De là viennent le repos, la paix. le bonheur. Le souhait de Dieu accompli... il n’est rien de plus sacré. Et ce souhait va au « lourd porteur d’une âme ». Qu’il devienne beau ! On fait cas d’une belle forme et l’on tache à la douer d’éternité... Mais l’imparfait peut bien être dévasté. déshonoré. Quel dommage y a-t-il ?

Ce corps idéal, cette haleine d’une pureté native fondirent le misérable sentiment de la passion, de l’instinct, dans la grande sensation du monde délivré.

Et ils allèrent dormir, comme frère et sœur.

Quand elle s’éveilla, il était assis devant elle. Trois heures après-midi. Elle était toute rose.

La chambre était déjà remplie par la chaude vapeur d’un feu de bois de sapin odorant et crépitant. Au milieu, une baignoire brillante pleine d’eau de source froide.

Sur la nappe blanche, dans une assiette plate, un poisson brun-clair. Dans un petit plat de verre, l’aspic brillait comme une topaze.

Sur un petit plat d’argent, il y avait un morceau vert et blanc de Roquefort.

— Oh ! dit l’amoureuse de sommeil étonnée, vous êtes bon.

Elle se baigna cinq minutes. Et ce corps fleuri, idéal, alla reprendre la chaleur du lit.

Puis elle se mit à table, nue, et elle mangea.

Il la servit comme l’écuyer sert sa reine.

C’était la première fois que cette « primitive » trouvait en un homme une créature humaine... Ce qui était sacré pour elle était sacré pour cet homme... Son beau corps. C’était pour elle comme une sorte de justification des soins qu’elle en prenait. C’était comme un souffle venant de la Grèce... Entre la façon qu’elle avait de voir ces choses et la sienne. il y avait un rapport. Ce n’était pas une comédie que l’un jouait devant l’autre. Il y avait là liberté et accord. Aussi éveillait-il le sentiment en elle. Et, par cette interprétation compliquée de ce qu’elle avait de primitif, il était pour elle une sorte d’éducateur. Il donnait au « bel inconscient» une base philosophique, une interprétation psychologique. Il « découvrait » le Primitif. Tout cela revenait à dire :

— Qu’est-ce que cela fait, puisque tu possèdes la beauté de Dieu ?

Nous ne pouvons pas façonner les hommes à l’image de notre âme, mais seulement à l’image de la leur. Leur idéal sommeille caché en eux, et non pas en nous.

On pourrait presque poser ce principe :

— Faire une éducation, c’est surveiller attentivement la croissance organique.

Quant aux autres, ils veulent faire plier, veulent casser, couper, bouleverser, briser, détruire...

Mais, qui détruisent-ils donc ? Rien qu’eux-mêmes. Et puis, ils viennent gémir sur leur « idéal assassiné. »