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Installé à sa table, en face d’elle, le jeune homme écrivit sur un cahier : « De pudore. Pudeur ! Peut-être la pudeur est-elle le sentiment de l’abîme qui existe entre ce que nous devrions, pourrions être physiquement et ce que nous sommes encore. Nous portons le deuil de notre Moi qui, dans la peine de vivre, s’étiole et se rabougrit. Ce deuil s’appelle « la pudeur. » Homme, ne regarde pas comment je suis fait ! Nous avons honte de tout ce qui détruit notre Moi, de tout ce qui a arrêté notre épanouissement. Et c’est la douleur de ne pas être les Derniers, les Images de Dieu...

« Mais, que cacherais-tu, si tu es devenu ton idéal propre et si tu rayonnes dans l’idée devenue Acte ?

« Tu es alors au paradis comme jadis et tu te montres nu.

« Le Beau tue la Honte.

« C’est peut-être un sentiment que l’on a mis en nous afin que nous en triomphions par notre perfection.

« Si tu es ce que tu dois être, laisse tomber les voiles, ô toi qui es riche de victoire. »

— Qu’écrivez-vous là ? demanda la jeune fille.

Il lut à haute voix, expliqua.

— Cela vient de vous, dit-il, je n’ai fait que le transcrire. Elle dit :

— Voyez-vous, j’aime mon corps, je le considère comme quelque chose de sacré. J’ai, pour cette image, de grands soins et beaucoup d’égards. Ainsi, il a besoin d’un sommeil prolongé, se terminant de lui-même, d’une nourriture simple et légère et de mille autres choses. Lorsque je m’éveille, ma chambre est déjà remplie par la bonne et chaude vapeur d’un feu de bois. Au milieu de la chambre, il y a une grande baignoire avec de l’eau de source froide. Je saute gaîment de mon lit dans l’eau, où je reste cinq minutes. Puis, encore au lit. Et là, je transpire... Je sens mille vies se précipiter en moi. Je me lève... avec grand plaisir... Plus tard je prends un bouillon de poulet avec trois jaunes d’œuf, puis un petit poisson de mer, puis du roquefort. Je ne bois que de l’eau, je ne fume pas. Un monsieur m’a dit un jour : « Vous êtes le type de l’égoïste. » Mais, à qui fais-je donc plaisir ? À moi, ou à ceux qui pensent alors : « Si tu es ce que tu dois être, laisse tomber les voiles, ô toi qui es riche de victoire ! »

Elle était là, souriante, debout dans sa splendeur.

Il l’embrassa sur la bouche.

— Vous avez de l’esprit, dit-il ; mais c’était le sien propre.

Il dit :

— Vous avez une haleine pareille au parfum d’amandes douces que l’on aurait fait cuire et épluchées, encore chaudes.

Il pensait :

— Cette haleine est la conséquence de l’organisme général. Pour l’amour de cette haleine, je t’aime. C’est un signe de Dieu, une véritable haleine divine. « Tout en nous peut devenir aussi pur. »

La « joie divine » que procure la perfection s’empara de lui. C’est comme le cri de ravissement