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de diététique et d’hygiène. Pour mieux dire, tout chez lui se transformait en choses susceptibles d’accroître la force de tension du noble organisme qu’est l’homme.

Du thé, du gingembre, des marrons, des mains de femme...

— Il nous faut grandir..., pensait-il, et à quelque instant que ce soit.. En échange, ces dames recevaient l’image d’une belle machine compliquée, fine, sous pression et bien graissée ; on n’avait qu’à mettre la machine en communication avec une courroie quelconque, et l’on obtenait un travail d’une intensité extraordinaire dans n’importe quel ordre de la production humaine.

La fine machine sous pression, bien graissée, se mit à fumer.

C’était la fumée de cigarettes égyptiennes.

La jeune fille fumait aussi. On l’eût prise pour une grosse pipe d’écume, soigneusement sculptée, qui se culotterait elle-même.

Dans la chambre tiède se mêlaient les parfums du thé, du rhum et des cigarettes.

Le jeune homme s’assit sur le petit sofa, près de la jeune femme et regarda les fines mains blanches.

La jeune femme les cacha dans les plis du soie de sa robe et, toute honteuse, se pencha légèrement en avant.

— Connaissez-vous A.-Tchékhov ? demanda-t-il. Il est extraordinaire, c’est un génie ! Je vous ai apporté un petit livre de lui, mademoiselle...

— Lisez-nous quelque chose... dit la princesse d’écume de mer jaunie.

Il lut la Mort du matelot et les Ennemis [1].

C’était triste..., l’endroit n’était peut-être pas des mieux choisis... Que lui importait ! Mais les dames s’enthousiasmèrent...

— Vous lisez comme Coquelin, dit la jeune fille.

Le jeune homme dit : « L’enthousiasme et la déclamation sont des moyens de précipiter en nous le travail d’assimilation et de désassimilation et, par conséquent, d’élever notre humanité. On se rajeunit à cet exercice ; c’est comme une gymnastique intérieure. »

Les mains blanches de la jeune femme reposaient étendues sur la soie noire. Elle oubliait de les cacher...

Le jeune homme reprit : « Mon Tchékhov ! Dire beaucoup de choses avec peu de mots, voilà le secret. La plus sage économie jointe à la plus profonde abondance, c’est tout pour l’artiste... comme pour l’homme. L’homme est — devrait être — un artiste lui aussi... un « artiste de vie ». Les Japonais peignent une branche de fleurs, et c’est tout le printemps. Nous peignons tout le printemps, et c’est à peine une branche de Heurs. Une sage économie, voilà l’important. Et puis, voyez-vous, il est beau d’avoir une sensibilité aiguë pour les formes, les couleurs, les parfums.

  1. En français dans le texte.