Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Naturellement, j’avais essayé de le revendre : mais ce trait de simplicité rencontra peu de sympathie. Le commissaire-priseur, monté sur le cheval, tempêta du haut en bas des rues de la ville pendant quatre jours, dispersant la populace, interrompant le commerce et pulvérisant les enfants, sans récolter une seule enchère, à l’exception du moins de celle de 18 dollars de la part d’un compère à gages notoirement sans surface. Le public se borna à sourire agréablement et refréna son désir d’acheter s’il avait un tel désir. Alors le commissaire-priseur me présenta sa note et je retirai le cheval du marché. Nous essayâmes ensuite de le troquer à une vente particulière, en l’offrant à perte contre des pierres funéraires d’occasion, de la ferraille, des brochures de la Société de Tempérance, n’importe quelle marchandise. Mais les preneurs restèrent froids et nous nous retirâmes encore du marché. Jamais je n’essayai plus de monter sur ce cheval.

La marche était un exercice suffisant pour quelqu’un qui comme moi n’avait pas de détériorations, si ce n’est des fractures, des contusions internes et autres avaries. Finalement, j’essayai d’en faire cadeau. Mais ce fut un échec. Les gens disaient que les tremblements de terre n’étaient pas rares sur la côte du Pacifique, qu’ils ne désiraient pas en posséder un. Comme dernière ressource, je l’offris au gouverneur pour l’usage de la Brigade. Sa figure s’illumina d’abord ardemment, puis se rembrunit et il répondit que la chose serait trop palpable.

Là-dessus, le loueur de chevaux m’apporta sa note pour six semaines de pension : stalle pour le cheval, quinze dollars ; foin pour le cheval, deux cent cinquante dollars ! Le véritable tampon mexicain en avait mangé une tonne et l’homme disait qu’il en aurait mangé cent, si on l’avait laissé faire.

Je me mis en devoir de payer la note du loueur et, le jour même, je donnais le véritable tampon mexicain à un émigrant de l’Arkansas de passage, que le sort livra entre mes mains. Si jamais son regard tombe sur ces lignes, il se rappellera le cadeau, indubitablement.

Maintenant, quiconque aura eu la chance de monter un vrai tampon mexicain reconnaîtra l’animal décrit dans ce chapitre et y trouvera peu d’exagération ; les profanes seuls se croiront en droit de regarder son portrait comme une esquisse de fantaisie peut-être.

(À suivre.)
Mark Twain

Traduit de l’anglo-américain par Henri Motheré.