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quatre pieds. Je retombai d’aplomb sur la selle ; je repartis en l’air instantanément ; je retombai presque sur le haut pommeau ; je fus relancé en l’air, et je redescendis sur le cou du cheval, — le tout en l’espace de trois ou quatre secondes. Ensuite il se dressa debout sur son train de derrière et moi, cramponné désespérément à sa maigre encolure, je me rehissai en selle sans lâcher prise. Il se remit à quatre pattes et immédiatement brandit ses talons en l’air, envoyant une ruade vigoureuse au ciel, puis il se cabra de nouveau. Il retomba une fois de plus, et reprit son exercice primitif de me lancer perpendiculairement en l’air. À ma troisième ascension j’entendis un étranger qui disait :

— Oh ! ce qu’il fait le daim, tout de même !

Pendant que je planais, quelqu’un appliqua au cheval un coup retentissant avec une lanière de cuir et, à mon retour, le véritable tampon mexicain n’était plus là. Un jeune Californien le pourchassa, le rattrapa et me demanda la permission de faire un tour dessus. Je lui accordai ce luxe. Il monta sur le Véritable, se fit projeter une fois en l’air, mais en redescendant enfonça ses éperons au bon endroit et le cheval partit comme un télégramme. Il prit son essor par dessus trois palissades comme un oiseau et disparut sur la route de la vallée du Washoe.

Je m’assis sur une pierre en soupirant et, par un mouvement machinal, l’une de mes mains se posa sur mon front et l’autre sur le creux de mon estomac. Je crois que je ne m’étais jamais jusque-là rendu compte de la pauvreté de l’organisme humain, car j’aurais eu encore besoin d’une main ou deux pour les mettre ailleurs. La plume ne peut décrire à quel point j’étais contusionné. L’imagination ne peut concevoir à quel point j’étais désarticulé, combien, intérieurement, extérieurement et universellement, j’étais détraqué, moulu et brisé. Une foule sympathique m’entourait cependant.

Un consolateur d’aspect mûr me dit :

— Étranger, on vous a mis dedans. Tout le monde dans le camp connaît ce cheval-là. Un enfant, un Indien aurait pu vous dire qu’il ferait le daim ; c’est le pire diable du continent d’Amérique pour faire le daim. Écoutez-moi, je suis Curry, le vieux Curry, le vieil Abe Curry. Qui plus est, c’est un véritable nom de Dieu de tampon mexicain complet, chimiquement pur. Comment ! nigaud, en gardant son vent et en faisant le mort, on trouve des occasions d’acheter un cheval américain pour guère plus d’argent, ma foi, que vous n’avez payé cette sacrée vieille relique exotique… !