Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



sur un arbre. C’était un canton de pins à bois jaune, forêt épaisse d’arbres hauts de 35 mètres et larges de 0 m. 33 à 1 m. 66 à la base. Il était nécessaire d’enclore notre propriété ou nous y perdions droit. C’est-à-dire, il était nécessaire d’abattre des arbres de loin en loin et de les faire tomber de manière à former une sorte d’enceinte (avec des brèches assez larges). Nous coupâmes chacun trois arbres et nous trouvâmes le travail si épuisant que nous résolûmes de nous « fonder en droit » sur eux : s’ils sauvegardaient nos titres, très bien ; sinon, la propriété pouvait se sauver par les brèches, cela ne valait pas la peine de nous tuer de fatigue pour quelques arpents de terre. Le lendemain nous revînmes pour bâtir une maison ; car une maison aussi était nécessaire pour sauvegarder nos titres. Nous décidâmes de bâtir une solide maison de rondins et d’exciter l’envie des membres de la Brigade ; mais vers le moment où nous eûmes coupé et dégrossi le premier rondin, il nous sembla inutile d’être si exigeants et nous résolûmes de la bâtir en baliveaux. Cependant deux baliveaux dûment abattus et dégrossis nous forcèrent de reconnaître qu’une architecture encore plus modeste pourrait satisfaire la loi : nous résolûmes donc de bâtir une maison en broussailles. Nous consacrâmes le jour suivant à cet ouvrage, mais nous passâmes tant de temps à nous asseoir un peu pour nous consulter, que, vers le milieu de l’après-midi, nous n’avions achevé qu’une sorte de compromis rudimentaire, que l’un de nous devait garder pendant que l’autre coupait de la brousse, de peur que, si nous tournions le dos tous les deux, nous ne puissions plus le retrouver, tant était intense son air de famille avez la végétation environnante. Mais nous en étions satisfaits.

Nous étions maintenant propriétaires fonciers, dûment saisis et en possession, et sous la protection de la loi. Aussi décidâmes-nous d’établir notre résidence sur notre domaine et de jouir de cette grande sensation d’indépendance que seule peut donner une pareille vie. Tard dans l’après-midi suivante, nous partîmes en bateau du camp de la Brigade avec toutes les provisions et tous les ustensiles de cuisine que nous pûmes emporter, emprunter serait un terme plus juste, et, à la tombée de la nuit, nous halâmes le bateau sur la plage de notre propre débarcadère.