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— Oh ! s’exclama-t-il, en jetant un coup d’œil sur son propre costume, si correctement austère, voilà qui ne concorde pas avec notre état d’âme !

L’Italien, nullement préparé à la haute faveur dont il était l’objet, et fort empêché de saluer, s’excusait de son ton de voix le plus câlinement mélodieux, et en usant des formules les plus humbles :

— De la maladie, Monseigneur, un peu de fièvre ; pour la combattre, j’enveloppe ce pauvre corps débile de nuances souriantes qui m’égaient ; et comme les femmes sont, par nature, plus résistantes que les hommes, cet ajustement, si frivole qu’il soit, m’aide, par un charme de transposition, à triompher de la souffrance.

La vérité était que Leone Cappa avait un penchant pour le travesti qui lui donnait des illusions… Mais le prince Claude accepta sa phraséologie.

— J’approuve, fit-il, l’index érigé. Et il s’assit au chevet du musicien. Il l’interrogea : Que faisais-tu là ? Peut-être, inspiré, notais-tu quelque chant sublime ? Voyons.

Il prit un des papiers. — Qu’est-cela ? fit-il, étonné.

Leone Cappa confessa :

— La note de ma couturière. Je l’étudiais avec soin ; et j’y relevais des erreurs, des majorations de chiffres inadmissibles.

Monseigneur, piqué de curiosité, lut la facture, et souligna lui-même des prix qui lui semblaient exagérés.

— Mais, observa-t-il, pourquoi te faut-il tant de velours et de satin, et de couleurs si diverses ?

— Votre Altesse le sait, et je le lui ai dit. Il est des affinités entre la nature des étoffes, l’éclat des couleurs et la forme de l’inspiration. Telle idée préfère le satin et telle autre le velours, l’une s’habille en violet et l’autre en rouge, et toutes affectionnent une des nuances du prisme. J’en ai de nombreuses, et je m’adapte à leur variété ; aussi ai-je dû me fournir d’un assortiment très complet de robes musicales !

— Oui, répondit le prince, après un intervalle de silence, tu as raison. — Je paierai. — Et crois-tu que ce froc et ce chapelet correspondent à mon désir de vie ascétique, et contribuent à m’y affermir ? Car, vois-tu, j’ai parcouru le cycle de mon atavisme, et maintenant je suis las. Je pense que l’effort suprême d’une race converge vers la sainteté ; et aujourd’hui que le ciel lui-même est en pleurs, je veux pleurer sur moi-même et sur mes