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drame est à « l’opéra » comme une pièce de Shakespeare à un drame de littérature, et une symphonie de Beethoven à une musique d’opéra.

Que Beethoven au cours de sa Neuvième symphonie revienne simplement au chœur-cantate avec orchestre suivant la formule, cela ne doit pas nous égarer quand nous jugeons ce saut remarquable de la musique instrumentale dans la musique vocale ; nous avons mesuré précédemment l’importance de cette partie chorale et reconnu qu’elle appartenait au domaine propre de la musique. Dans ce choral, en dehors de l’ennoblissement de la mélodie, il ne s’offre rien d’extraordinaire dans la forme ; c’est une cantate avec des paroles que rien ne lie particulièrement à la musique. Nous savons que ce ne sont pas les vers du poète, auteur du texte, fussent-ils de Gœthe ou de Schiller, qui peuvent déterminer la musique ; c’est le drame seul qui le peut, et, à la vérité, non le poème dramatique, mais le drame qui se meut réellement devant nos yeux comme pendant visible de la musique, où la parole et le discours appartiennent uniquement à l’action, et n’appartiennent plus à la pensée poétique.

Ainsi ce n’est pas l’œuvre de Beethoven, mais l’acte artistique du musicien, l’acte inouï contenu en lui que nous avons à retenir ici comme le point suprême du développement de son génie, quand nous expliquons que l’œuvre d’art vécue et formée entièrement par cet acte devrait offrir la forme d’art la plus achevée où l’abolirait, pour le drame comme pour la musique, tout conventionalisme. Telle serait l’unique forme nouvelle d’art correspondant absolument à l’esprit allemand si puissamment personnifié dans notre grand Beethoven. Cette forme d’art, purement humaine et pourtant appartenant originellement au maître, manque encore au monde moderne si on le compare à l’antique.

Richard Wagner

Traduit par Henri Lasvignes.