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tement, seuls responsables de cette boucherie traîtresse et féroce. Nous recueillîmes l’histoire sous toutes ces différentes formes ; mais ce ne fut que plusieurs années après que le livre de Mme Waite, le Prophète Mormon, parut, donnant le procès des accusés devant le juge Cradlebaugh, et révéla la vérité, à savoir que la dernière version était la correcte et que les Mormons étaient bien les assassins. Tous nos renseignements avaient trois faces. J’abandonnais donc l’idée que je pouvais résoudre la « Question mormonne » en deux jours. Pourtant j’ai vu des correspondants de journaux le faire en un seul jour.

Je quittai Grand Lac Salé fortement perplexe au sujet de l’état de choses qui y existait, et me demandant même par moments s’il y existait un état de choses quelconque. Mais tout de suite je me rappelai, avec une sensation fulgurante de soulagement, que nous avions appris là deux ou trois choses triviales dont nous pouvions être sûrs ; nos deux jours n’étaient donc pas entièrement perdus. Par exemple, nous avions appris que nous étions enfin dans un pays de pionniers, réalité absolue et tangible. Les prix élevés fixés pour des bagatelles disaient éloquemment les transports coûteux et les distances stupéfiantes de ces transports. Dans l’est, à cette époque, la plus petite appellation monétaire était le penny (0 fr. 10) et représentait la plus petite quantité achetable de toute denrée. À l’ouest de Cincinnati la plus petite monnaie en usage était la pièce d’argent de cinq cents (0 fr. 25) et on ne pouvait acheter de chaque article pour une valeur moindre de cinq cents (0 fr. 25). À Overland-Ville, la plus faible monnaie paraissait être la pièce de dix cents (0 fr. 50) ; mais à Lac Salé, il ne semblait rien y avoir dans la circulation au-dessous du quartier (1 fr. 25), ni de plus petite quantité de marchandise achetable que pour une valeur d’un quartier (1 fr. 25). Nous avions toujours été habitués aux demi-dîmes (0 fr. 25) et à la valeur de cinq cents comme minimum des négociations financières ; mais à Lac Salé, si on voulait un cigare, c’était un quartier : si on voulait une pipe en terre, c’était un quartier ; si on voulait une pêche, une chandelle ou un journal, ou se faire raser, ou un peu de whisky Gentil pour frotter ses corps aux pieds, pour arrêter l’indigestion et prévenir le mal de dents, cela coûtait vingt-cinq cents (1 fr. 25) chaque fois. Quand, de temps à autre, nous regardions notre sac de monnaie blanche, il semblait que nous gaspillions notre bien à faire bombance, mais en nous référant à notre livre de comptes, nous pouvions constater qu’il n’en était rien. Après un mois d’usage du minimum à vingt-cinq cents (1 fr. 25)