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À la dure  [1]


CHAPITRE XVI
La Bible mormonne. — Preuves de sa divinité. — Plagiat de ses auteurs. — Histoire de Néphi. — Merveilleuse bataille. — Enfoncés, les chats de gouttière


Tout le monde a entendu parler de la Bible mormonne, mais peu de gens excepté les « élus », l’ont vue, ou du moins, ont pris la peine de la lire. J’en emportai un exemplaire de Lac-Salé. Ce livre est une curiosité pour moi, c’est une œuvre si prétentieuse et pourtant si « bête », si endormante ; un fatras si insipide d’inspiration ! C’est du chloroforme imprimé. Si Joseph Smith a composé ce livre, ce fut un miracle, — ou plutôt c’en fut un qu’il restât réveillé pendant ce temps-là. Si, conformément à la tradition, il l’a simplement traduit d’après certaines anciennes tables de cuivre couvertes d’hiéroglyphes, qu’il déclare avoir trouvées sous une pierre, dans un lieu détourné, le travail de la traduction a été également un miracle, pour la même raison.

Le livre paraît n’être qu’un récit détaillé d’histoire imaginaire sur le modèle de l’Ancien Testament, suivi d’un plagiat ennuyeux du Nouveau Testament. L’auteur s’est efforcé de donner à ses mots et à ses phrases le ton et la tournure surannée et vieillotte de notre traduction des Écritures faite sous le roi Jacques ; et le résultat est un livre bâtard, moitié facilité moderne et moitié simplicité et gravité anciennes. Ces dernières sont maladroites et forcées ; la première est naturelle, mais grotesque par contraste. Toutes les fois qu’il trouvait que son discours devenait trop moderne, ce qui arrivait à chaque instant, il y versait une cuillerée d’expressions bibliques telles que « l’abomination de la désolation », « et il arriva que », etc., pour rétablir l’équilibre. « Et il arriva que » était sa tournure favorite. Sans elle, sa Bible ne serait qu’une brochure.

  1. Voir tous les numéros de La revue blanche depuis le 1er  octobre 1901.