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on abaisse pour lui le terrible pont-levis des formalités, on réquisitionnerait une province pour lui faire plaisir.

Il préfère généralement réquisitionner lui-même, par l’intermédiaire des chefs indigènes qu’il domine et qu’il corrompt, et on le laisse faire. Il sait se débrouiller, celui-là ; il ne cause pas de tracas. À la bonne heure !

Parfois aussi ses exigences deviennent excessives. Il s’est si bien habitué à tailler en pleine chair que, du jour où les résistances surgissent, il s’en prend à l’administration.

Car le colon prétend que l’administration soit faite pour le colon, rien que pour le colon, de même que l’administration prétend que le pays soit fait pour l’administration, rien que pour l’administration.

Le colon a des exigences fantastiques qu’il faut aller vérifier sur place avant d’y croire. Une fois dans ce cadre de banditisme violent et sournois, dans cette atmosphère saturée de despotisme et d’inconscience, on comprend tout, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.

Il est douteux que vous rencontriez jamais un seul colon français qui ne demande pas l’expulsion immédiate de tous les colons étrangers. À Madagascar, le Mauricien, qui parle français, qui aime la France, mais qui reste Anglais comme le Canadien parce que la domination anglaise est infiniment moins arbitraire et moins oppressive que la nôtre, est déjà suspect. Le Français de la Réunion, incontestablement plus apte que nous à coloniser la grande île africaine, n’est que détesté. Il fallut soumettre à des taxes spéciales les Asiatiques et Africains, non seulement les trafiquants, qui payèrent deux taxes, mais encore les simples travailleurs qui n’étaient pas au service d’un colon français, et qui payèrent une taxe de séjour. On y ajouta les vexations administratives, la suspicion. Les colons français n’ont pas été satisfaits. Il faut chasser tous les commerçants hindous et chinois, chasser tous les Anglais, tous les Américains, tous les Allemands, tous ces « parasites qui viennent manger notre pain ». Cela fait, le gouvernement importerait des esclaves hindous et africains à qui l’on reconnaîtrait officiellement le droit de se faire exploiter bénévolement. Peut-être alors serait-il possible d’expulser les Malgaches eux-mêmes, ou, du moins, d’en faire une judicieuse sélection, à la manière de cet officier expéditif, le lieutenant Brünncher qui disait, de l’air d’un apôtre : « Ils ne travaillent pas : je les supprime ! »

On voit que les théories humanitaires esquissées ici par nos chevaliers de la plus grande France, dont quelques-uns ont exploré, au péril de leurs jours, l’île de la Grande-Jatte, ont de l’écho dans nos colonies.

Mais, d’autre part, on conçoit qu’entre le nationalisme mercantile du colon et l’administration, jalouse de son autorité, obligée du reste à des ménagements qui lui sont imposés, des querelles éclatent fréquemment.

Alors l’officier, ou le résident, ou l’administrateur met son masque noir de fonctionnaire, ce masque d’impersonnalité et de menace qui du visage ne laisse plus voir que les dents. Et c’est la guerre.