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totalement affranchie des influences civilisatrices, on admettra néanmoins qu’elle vaut bien le Dahomey avant la conquête, et que Monrovia est moins abominable que ne fut Abomey.


Le fonctionnaire colonial qui a la vocation existe sans doute, mais combien rare, hélas ! Ce sont les inéluctables nécessités de l’existence qui font les vocations coloniales comme les autres. La majoration des soldes fait le reste.

On pourrait se demander ici pourquoi les différentes catégories de fonctionnaires coloniaux forment des castes d’agents inégalement rétribuées, pourquoi ce commis de résidence voit doubler sa solde d’Europe, et pourquoi ce douanier, dans la même colonie, voit tripler la sienne, pourquoi enfin l’unification de toutes les soldes n’a pas été réalisée, mais ne nous écartons pas du terrain administratif.

Il est si vaste, ce terrain administratif, et le fonctionnarisme tient si bien toute la place au soleil, qu’il n’en reste plus pour le colon.

Ah ! le colon ! c’est l’ennemi ; c’est un gêneur. C’est un individu, un affamé, un fantôme qui vient l’on ne sait d’où, et qui veut sa part du gâteau, et qui rôde, et qui vous espionne, et qui bourdonne à vos oreilles, sans trêve, comme les mouches impudentes dont le vol tout à coup vous agace au fond d’une moustiquaire bien fermée, où passaient des rêves et des ivresses de soleil et d’amour.

Et pendant qu’en haut la réclame s’évertue — car il faut des colons, beaucoup de colons pour construire le futur paradis, et la gloire du gouvernement, et le triomphe des statistiques menteuses — le pauvre colon qui s’est laissé prendre au mirage des belles perspectives coloniales, brusquement, dès qu’il a mis le pied sur ce sol qu’il est venu conquérir, se heurte à des visages fermés, se meut dans une atmosphère de grognements hostiles.

Il est de notoriété publique, je pense, que le colon pauvre et laborieux n’a rien à attendre de l’autorité française, que des tracasseries.

On l’écrase d’impôts. La douane et la police le surveillent comme un flibustier. On accable sa pauvreté de mépris officiel et de vexations sans fin. Et dans ce pays où, lui disait-on, la terre ne coûte rien, bien souvent il ne trouve à se loger que dans les déserts, au large de la spéculation.

Il s’en console en se taillant royalement sa part de souveraineté dès qu’il le peut, et c’est l’indigène qui paie toujours, qui se prête à toutes les escroqueries, se courbe, humble et chétif, devant le blanc, devant le fauve et le pirate, devant l’homme de caste, jusqu’à ce que, le rencontrant sur un sentier perdu, il l’abatte comme un chien — rarement !

Le colon riche, celui qui reçoit à dîner le missionnaire, l’officier, le fonctionnaire, celui qui méprise également l’indigène sans souliers, le colon sans le sou, le soldat sans galons — toute la racaille coloniale — a des destinées plus heureuses. On le conduit par les chemins de traverse,