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occupé, au plus profond du sommeil, par ses événements intérieurs, de la même façon que la partie du cerveau, tournée vers l’extérieur et liée immédiatement avec les organes des sens, maintenant en complet repos, subit, quand elle est éveillée, les impressions du monde extérieur. Nous avons vu que la communication du rêve conçu au moyen de cet organe intérieur ne pouvait être transmise que par un second rêve précédant immédiatement le réveil, qui manifeste le contenu véritable du premier seulement sous une forme allégorique : en effet, à mesure que le réveil du cerveau se prépare et finalement s’opère de soi-même, les formes de connaissance du monde des apparences, temps et espace, doivent entrer en activité ; par conséquent. il se construit dans ce deuxième rêve une image en affinité absolue avec les expériences communes de la vie. — Nous avons comparé l’œuvre du musicien à la vue de la somnambule devenue voyante : elle est comme l’image immédiate du rêve le plus intérieur que contemple la voyante, image manifestée à l’extérieur, au point suprême de la clairvoyance somnambulique, et nous avons trouvé le canal de cette communication dans la naissance et la formation du monde des sens. — Au phénomène physiologique, pris ici analogiquement, de la clairvoyance somnambulique se rattache celui de la vision des esprits, et nous appliquions l’application hypothétique de Schopenhauer : suivant lui, ce phénomène est une clairvoyance se manifestant dans le cerveau éveillé ; elle se produirait de soi-même, notamment à la suite de l’abolition de la faculté visuelle, chez l’homme éveillé ; l’effort intérieur utilise cette vue momentanément voilée pour montrer nettement, à la conscience sur le point de s’éveiller, la figure apparue au plus profond du rêve véritable. Cette image, projetée de l’intérieur vers l’œil, n’appartient en aucune façon au monde réel des formes : pourtant elle vit aux yeux du voyant avec tous les indices d’une existence véritable. Ainsi, l’image contemplée par la volonté intérieure est projetée devant les yeux de l’homme éveillé. À cette projection, qui ne réussit que dans des cas extraordinairement rares, correspond pour nous l’œuvre de Shakespeare et nous nous l’expliquons, lui-même, comme un voyant, comme un charmeur d’esprits qui sait représenter, à lui-même et à nous, devant nos yeux éveillés, les figures des hommes de tous les temps qu’il tire de sa contemplation intérieure, avec une telle intensité qu’ils paraissent vraiment vivre devant nous.

Nous étant rendus maîtres de cette analogie dans toutes ses conséquences, nous pouvons caractériser Beethoven, que nous avons comparé à la somnambule clairvoyante, comme le sous-sol agissant de ce Shakespeare qui voit les Esprits. Ce qui produit les mélodies de Beethoven projette aussi les formes-Esprits de Shakespeare. Et tous deux pénétreront ensemble dans un seul et même être, si nous faisons entrer le musicien dans le monde de la lumière en même temps qu’il s’avance dans le monde des sons. Ceci arriverait d’une manière analogue au processus physiologique qui, d’une part, devient le terrain où les esprits