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L’administration coloniale a adopté les principes faciles qui sont en usage dans toutes les armées. Du fond de son cabinet, l’administrateur règle le tableau de service de sa province comme du fond d’une salle de rapport on règle le tableau de service d’un régiment. Le pays obéit « sans hésitation ni murmure ». Si l’indigène réclame, il faut qu’il suive, comme le soldat, la voie hiérarchique. À Madagascar, on eut l’idée géniale de frapper d’un droit de timbre de vingt-cinq centimes toute requête écrite des indigènes. Pas de timbre, pas de requête à examiner, pas de temps perdu, pas d’ennuis.

Si le militaire déteste de tout son cœur le fonctionnaire civil, le fonctionnaire civil le lui rend bien : ce n’est pas que chacun d’eux s’élève contre la somme d’arbitraire permise à l’autre, c’est que tous deux se disputent la même somme d’arbitraire et le même troupeau misérable. Le militaire, à coup sûr, a la bosse de l’administration, et l’administrateur, sûrement, a la bosse de la violence. Ils ne se complètent pas, ils se suppléent ou font double emploi. Leurs fonctions refusent de se hiérarchiser entre elles. Ils sont deux puissances d’autorité qui s’excluent et que le sentiment indigène exclut également.

Toutes nos colonies accepteront de nous la direction politique et le contrôle économique et social, elles accepteront notre intervention autoritaire chaque fois que cette intervention aura pour but le maintien ou le rétablissement de l’équilibre des forces sociales au profit de la collectivité entière : mais jamais un peuple — barbare comme sont les tribus africaines ou canaques, civilisé comme sont les Indo-Chinois et les Hova — n’acceptera d’être la proie passive d’un organisme despotique superposé à la société indigène, appuyé sur des despotes indigènes mués en instruments de domination et sur des troupes irresponsables qui interviennent journellement dans sa vie intérieure.

On a fait en Imérina des expériences portant sur l’administration directe du pays par des fonctionnaires indigènes. Ces réalisations timides, limitées aux seuls districts, contiendraient en germe l’administration coloniale rationnelle si notre tyrannie soupçonneuse n’excluait l’idée de Conseils et de Parlements élus, sans lesquels le fonctionnarisme, même indigène, restera dans nos mains comme un moyen d’oppression.

Je sais bien que la seule imagination d’une assemblée délibérante composée de Sakalava ou de Dahoméens fait sourire nos grands politiques. Ils ne conçoivent pas qu’une discussion entre sauvages finisse autrement qu’en bataille rangée, et la sagaie leur paraît devoir être le dernier argument de ces barbares. La vérité vraie est que l’on ne rencontre plus guère de sauvages que sur les boulevards européens, que les électeurs sakalava sauraient mieux sauvegarder leurs intérêts que les trois quarts des électeurs français, et qu’un parlement dahoméen, sa puissance fût-elle très limitée, ferait sans doute de meilleure besogne que le nôtre. L’exemple de la république de Libéria ne prouve rien. Composée originairement d’hommes corrompus par l’esclavage,