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qu’il est quelqu’un : le simple soldat à qui l’on jette cent sous par mois estime qu’il a le droit de se rattraper. Et c’est l’indigène qui paie des deux côtés.

Quand du militaire on a fait un administrateur, quand à la force du sabre on a ajouté la puissance de l’autorité, qu’a-t-on bien pu faire, sinon légaliser l’emploi du sabre, sinon l’inviter à trancher violemment toutes les questions de droit et de fait, à renverser brutalement tous les obstacles matériels ou moraux ?

Pour quelques unités exceptionnelles en qui l’âme se trouve assez haute pour couper la chaîne qui réunit l’administrateur et le soldat, pour quelques officiers déconsidérés qui se sont imprégnés de l’incomparable noblesse de l’œuvre à accomplir, que de barbares inintelligents et que d’épileptiques féroces !

Le militaire colonial, grand ou petit, ne conçoit rien au-dessus du militaire. Quand il demande, il commande : quand il achète, il fixe les prix : quand on lui résiste, il cogne.

On lui fera difficilement comprendre qu’à l’instant précis où il quitte les côtes de France, applaudi comme un acteur sur la scène, comme un gladiateur, comme un matador dans l’arène, il n’entre pas nécessairement en pays ennemi.

Cela, on ne le fera jamais comprendre à un conscrit, car il est remarquable — si paradoxale que la chose paraisse à première vue — il est remarquable que plus une troupe est jeune, plus elle se montre impitoyable et féroce, plus elle a la joie de l’horrible et la fanfaronnade du crime.

Quant aux troupes indigènes, conduites à coups de crosse et à coups de soulier, elles sont magnifiques de brutalité. Tous les coups reçus retombent sur l’indigène, toutes les rancunes amassées s’épanchent sur le vaincu. Il faut renoncer à peindre la cruauté féroce des bandes sénégalaises à notre solde. Elles font horreur à l’horreur.

Les milices viennent à la rescousse.

À Madagascar, où le milicien doit se nourrir, lui et sa famille — un grand nombre ont des enfants — avec une solde journalière de 50 centimes, le pillage devient obligatoire, il fait partie des ressources normales, c’est un moyen d’existence prévu.

Un de ces miliciens, de passage dans un village vézo, s’adresse à un vieillard et lui demande du lait. Le vieux proteste qu’il n’en a pas. L’autre riposte par un coup de fusil. Traduit devant le tribunal du chef-lieu, voici en quels termes il présente sa défense : « Je suis un soldat des Vazaha aussi bien que les mena satroka (chéchias rouges : tirailleurs), par conséquent je suis au-dessus des habitants, j’ai le droit de les commander. Quand j’ai faim, ils doivent me donner à manger ou je les traite en ennemis des Vazaha. Quand une femme me plaît et qu’on me la refuse, je la prends, parce que ce n’est pas à moi, c’est aux Vazaha qu’on la refuse. Tout cela est juste et je dois le faire. » Aucun commentaire ne vaudrait ces rigoureuses déduc-