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ans de réaction triomphante, cent ans d’admiration mutuelle, cent ans de servilisme et de passivité à peine interrompus çà et là par l’effort des minorités révolutionnaires ; une colonisation qui n’a pas su nous conquérir une sympathie sur le globe ; qui paralyse ou déforme tout ce qu’elle aborde sabre au poing ; qui détruit coutumes, législations, formes organiques, l’individu autonome, la famille polygame, l’agrégat communiste ; qui n’admet qu’un principe de gouvernement, le principe despotique, c’est-à-dire la subordination des masses populaires aux tyranneaux indigènes sanglés et bridés, l’obéissance de tous au despote, à la vague métropole qui seule exerce la souveraineté par ses proconsuls et par ses conseils polymorphes : cette colonisation là nous a jetés à travers les foules coloniales comme un des plus forminables agents d’oppression que le monde ait vus.

Où veut-on en venir avec un pareil régime qui, l’expérience l’a prouvé surabondamment, ne peut atteindre ni le but humanitaire, ni le but économique de la colonisation : qui n’affranchit pas les colonies et qui ruine la métropole ?

II

Toutes les colonies françaises sont livrées à ces grands rapaces : le cléricalisme, le militarisme, le fonctionnarisme — dont l’action diversement combinée mène partout la bataille des idées et la bataille des races, pousse les peuples dans l’orbite réactionnaire et fait des possessions coloniales la propriété d’un parti.

L Église est le terrain de conciliation où militaires et fonctionnaires oublient dans une génuflexion commune les rancunes immémoriales qui divisent les deux castes.

Si c’est le militaire et le fonctionnaire qui gouvernent, on peut dire que c’est le missionnaire qui règne dès qu’il s’est implanté dans une colonie. Comme dans les possessions espagnoles ou portugaises, c’est le moine qui dirige notre politique. Il est la grande puissance ténébreuse : il prend un homme et le jette sur la route de la fortune ou sous la roue de la déveine, silencieusement. J’ai connu aux colonies des officiers parfaitement sceptiques qui n’eussent osé sous aucun prétexte manquer la messe du dimanche.

Le prêtre tient l’armée coloniale comme il n’a jamais tenu l’armée métropolitaine. Il est son allié et son inspirateur. Il la flatte, l’absout, l’exploite et la domine.

Non pas que le missionnaire se rencontre partout. Comme le débitant de nos villes, la mission ne s’installe que sur les points favorables. Là où le missionnaire plante sa croix, c’est que le péril n’existe pas ou que le danger est annulé par la force.