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résultant de ces mélanges uniquement à la façon d’un orchestre dont on a accru la puissance. Dans la grande Messe solennelle nous avons devant nous une œuvre essentiellement symphonique du plus pur génie de Beethoven. Les voix sont ici traitées comme des instruments humains, absolument dans le sens que Schopenhauer, très justement, leur voulait voir attribuer.

Le texte mis dessous, précisément dans ces grandes compositions d’Église, n’est pas conçu par nous d’après sa signification en idées, mais il sert, dans le sens de l’œuvre musicale, uniquement comme matière pour le chant des voix. C’est simplement pour cela qu’il ne détruit pas notre impression musicale proprement dite, car il n’éveille nullement en nous des représentations d’idées, mais, comme l’impose son caractère religieux, nous émeut simplement avec l’impression de formules de foi, de symboles bien connus.

De l’expérience qu’une musique ne perd rien de son caractère quand des textes même très différents y sont adaptés, il résulte avec évidence que le rapport de la musique à la poétique est quelque chose d’absolument illusoire ; on constate, en effet, que, si une musique est chantée, ce n’est pas la pensée poétique que l’on perçoit, car elle n’est pas même articulée d’une manière intelligible par les chœurs, mais c’est tout au plus ce qu’elle enveloppe, c’est ce qu’elle éveille, en tant que musique, dans le musicien, c’est la musique dont elle est la cause. Une union de la musique et de la poétique doit, par suite, aboutir constamment, pour cette dernière, à un état d’infériorité absolue. Aussi y a-t-il lieu de s’étonner quand on voit comment nos grands poètes mêmes ont envisagé le problème de l’union des deux arts et tenté de le résoudre. Ils ont été visiblement conduits à cette recherche par le rôle de la musique dans l’opéra : et certes là le champ parut s’offrir à une solution possible du problème. Maintenant nos poètes ont pu envisager tantôt une appropriation de la musique à la structure extérieure de la poésie, tantôt l’émotion sentimentale éveillée par la musique ; il demeure évident qu’ils n’avaient comme objectif que de se servir de l’auxiliaire puissant en apparence qui s’offrait à eux et de donner à l’intention poétique une expression plus précise en même temps que plus pénétrante. Ils pouvaient s’imaginer que la musique leur rendrait volontiers ce service, si à la place de textes et de sujets triviaux d’opéras, ils lui offraient des conceptions poétiques d’un plus haut essor. Ce qui les retint de faire de sérieuses tentatives dans cette direction, ce fut peut-être qu’ils doutaient obscurément, mais assez justement, si la poésie dans son action commune avec la musique serait encore remarquée en elle-même. En regardant de plus près, il ne pouvait leur échapper que, dans l’opéra, en dehors de la musique, c’est seulement l’action scénique, et non la pensée poétique qui l’explique, qui revendique l’attention et que l’opéra n’attire à soi alternativement que l’ouïe et la vue. Ni pour l’une ni pour l’autre faculté de réception une absolue satisfaction esthétique n’était possible dans la musique d’opéra. Cela résulte manifestement de ce