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N° 6, et qu’elle, pour sa part, se proposait de ne pas laisser passer cette partialité sans faire une somme satisfaisante de bruit à ce sujet. M. Young lui rappela qu’il y avait un étranger présent. Mme Young dit que si ce qui se passait à l’intérieur de la maison déplaisait à l’étranger, il pourrait trouver place à l’extérieur. M. Young promit la broche, et la femme partit. Mais, au bout d’une ou deux minutes, une autre Mme Young entra et réclama une broche. M. Young entama une remontrance, mais elle l’interrompit court. Elle dit que le N° 6 avait une broche, que le N° 11 en aurait une et « que ce n’était pas la peine qu’il essayât de reconduire, qu’elle connaissait ses droits, elle l’espérait. » Il lui donna sa parole, et elle s’en alla. Mais voici que trois Mmes Young entrèrent en corps et déchaînèrent contre leur mari une tempête de larmes, de reproches et de supplications. Elles avaient appris le succès du N° 6, du N° 11 et du N° 14. Trois nouvelles broches furent promises. Elles avaient à peine disparu, lorsque neuf autres Mmes Young défilèrent dans la salle d’audience, et une nouvelle tempête éclata et fit rage autour du prophète et de son invité. Neuf broches furent promises et les sœurs fatidiques sortirent à la file. Et il en vint encore onze, pleurant et gémissant et grinçant des dents. Onze broches en perspective rétablirent la paix une fois de plus.

— Voilà, un échantillon, dit M. Young ; vous voyez ce que c’est. Vous voyez quelle vie je mène. On ne peut pas être raisonnable tout le temps. Dans un moment d’abandon, j’ai donné à ma bien-aimée N° 6, excusez-moi de l’appeler comme cela, son autre nom ne me revient pas, une broche. Elle ne valait que 125 francs, c’est-à-dire qu’en apparence c’était là son prix total, mais en définitive elle était inévitablement destinée à coûter beaucoup plus. Vous venez de la voir vous-même monter à 3 250 francs et ce n’est pas la fin, hélas ! Car j’ai des femmes de tous les côtés dans le territoire de l’Utah. J’ai des douzaines de femmes dont je ne sais les numéros eux-mêmes qu’en consultant la Bible de famille. Elles sont dispersées au loin parmi les montagnes et les vallées de mon royaume. Et, notez-le, chacune en particulier apprendra l’histoire de cette malencontreuse broche et, jusqu’à la dernière, toutes voudront en avoir une ou mourir. La broche du N° 6 me coûtera 12 500 francs avant que je sois au bout. Ces bonnes âmes compareront les broches entre elles, et s’il y en à une d’une ombre plus jolie que les autres, on me les laissera toutes pour compte et il faudra que j’en commande un nouveau lot pour maintenir la paix dans la famille.