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sauvages et réfractaires. Cependant, que faire ? Je pensai que M. Young, à défaut d’autre chose, me donnerait probablement quelque conseil et une ou deux idées précieuses : j’allai donc tout droit le trouver et je lui exposai mon cas en entier. Il parla très peu, mais il montra grand intérêt tout du long. Il examina en détail tous les papiers, et chaque fois qu’il semblait y avoir quelque chose comme une anicroche, soit dans le dossier, soit dans mes dires, il revenait en arrière pour reprendre le fil et le suivait patiemment jusqu’à un résultat intelligible et satisfaisant. Ensuite il fit une liste des noms des entrepreneurs. Enfin il me dit : « Monsieur Street, tout ceci est parfaitement clair. Ces actes sont établis strictement et légalement ; ils sont dûment signés et certifiés. Ces gens-là les ont certainement passés les yeux ouverts. Je n’y vois ni vice ni défaut. » Ensuite M. Young se tourna vers un homme de planton à l’autre bout de la chambre et dit : " Portez cette liste de noms à Un Tel, et dites-lui de faire venir ici ces hommes à telle heure. » Ils vinrent à la minute fixée. Moi aussi. M. Young leur posa un certain nombre de questions et leurs réponses s’accordèrent avec mes déclarations. Puis il leur dit : « Vous avez signé ces contrats et assumé ces obligations de votre plein gré et de votre libre consentement ? — Oui. — Eh bien, exécutez-les à la lettre quand ils vous ruineraient jusqu’au dernier sou. Allez ! » Et ils allèrent, et vivement ! Ils sont actuellement éparpillés à la file dans le désert, travaillant comme des abeilles. Et sans mot dire. Il y a ici une fournée de gouverneurs, de juges et autres fonctionnaires débarqués de Washington qui maintiennent l’apparence d’une forme républicaine de gouvernement, mais la vérité pétrifiée, c’est que l’Utah est une monarchie absolue et que Brigham Young est roi.

M. Street était un brave homme et je crois son histoire. Je l’ai beaucoup connu par la suite, durant des années, à San-Francisco.

Notre séjour à la Ville du Lac-Salé ne dura que deux jours : c’est pourquoi nous n’eûmes pas le temps de nous livrer à l’enquête habituelle sur le fonctionnement de la polygamie ni de dresser les statistiques et les arguments habituels, préparatoires à un nouvel appel à la nation en général sur ce sujet. J’en avais l’intention. Avec la suffisance exubérante de la jeunesse, je brûlais de m’y plonger la tête la première et d’opérer une grande réforme dans le pays… Mais je vis les Mormonnes. Alors je fus touché. Mon cœur fut plus sage que ma tête. Il