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science et d’une religion faussées, une population de nature aimable et gaie fut élevée à un scepticisme qui minait toute croyance à la vérité, à la liberté, à la nature et aboutissait à la pure frivolité.

C’était ce même esprit qui avait donné au seul art cultivé en Autriche, la musique, les tendances avilissantes sur lesquelles notre jugement a porté. Nous avons vu comment Beethoven s’en garda par les dispositions puissantes de sa nature et nous reconnaissons maintenant en lui une force égale pour se défendre des tendances frivoles de la vie et de l’esprit.

Baptisé et élevé en catholique, avec de tels sentiments, ce fut entièrement l’esprit du protestantisme allemand qui vécut en lui. Et ce protestantisme le mit encore sur la voie où il devait trouver son seul compagnon d’art, devant lequel il pouvait s’incliner avec respect, qu’il pouvait reconnaître comme lui ayant révélé le secret le plus profond de sa propre nature. Si Haydn fut le maître du jeune homme, le grand Sébastien Bach fut, dans le développement puissant de sa vie artistique, le guide de l’homme.

L’œuvre merveilleuse de Bach devint la Bible de sa foi ; en lui, il lui, et il on oublia le monde des sons qu’il ne percevait plus. Là était écrite l’énigme de son rêve intérieur qu’un jour le pauvre chantre de Leipzig avait notée comme symbole éternel du nouveau monde, de l’autre monde. C’était dans ces mêmes lignes énigmatiquement entrelacées, dans ces signes étonnamment embrouillés, qu’était apparu au grand Albert Dürer le secret du monde qu’éclaire la lumière, et de ses formes ; le livre de sorcellerie du Nécromant qui fait luire la lumière du Macrocosme sur le Microcosme. Ce que seul l’œil d’un esprit allemand pouvait contempler, ce que seule son oreille pouvait percevoir, ce qui, par une aperception venue du plus profond de son être, le poussait à protester irrésistiblement contre la pression du dehors, Beethoven lut maintenant tout cela clair et net dans son livre très saint — et devint lui-même un saint.

Mais comment ce saint, car il fut vraiment illuminé, pouvait-il, eu égard à sa propre sainteté, se comporter dans la vie, exprimer la vérité la plus profonde, mais en une langue que sa raison ne comprenait pas ? Son commerce ne devait-il pas exprimer seulement l’état d’un homme qui s’éveille d’un sommeil profond et qui péniblement s’efforce de se souvenir du rêve enivrant de son rêve intérieur ? Il nous faut admettre un état analogue chez le saint de religion, quand poussé par les nécessités de la vie, il s’approche, si peu que ce soit, de la vie vulgaire : saut que ce dernier, dans les misères de la vie, reconnaît avec certitude le châtiment expiatoire d’une vie de péché, et, dans leur endurance patiente, saisit avec ferveur un moyen de rédemption ; au contraire, notre Voyant conçoit l’idée de l’expiation simplement comme un tourment ne supporte qu’en souffrant le péché de l’existence. L’erreur de l’optimiste se venge maintenant de lui en accroissant ses souffrances et sa sensibilité. Tous les actes d’insensibilité, de dureté ou d’égoïsme